Le deux titres 2be3, des 2be3. Le pivot. J'avais 10 ans lorsque ce groupe débarquait à la radio et dans les bacs, pour renverser complètement les codes de la musique populaire et, j'ose le dire, l'histoire. Des corps rutilants témoignant d'un investissement artistique à 200% (ce qui faisait 66,6666...% par membre du groupe), des paroles postmodernes remettant au goût du jour les plus belles sorties du théâtres élisabéthains ("to be free, or not to be"... la claque !) et des chorégraphies en veux-tu en voilà soulignant la cohérence du groupe, entre paroles revendicatrices et rage de vivre. L'année d'après, on gagnait la Coupe du monde de football, et, comme le dira si bien Thierry Roland, nous pouvions partir tranquille.
Partir un jour, oui, sans retour, effacé (effacé...) notre amour. Sans se retourner, ne rien regretter, penser à demain, recommencer... Des paroles qui ont marqué toute une génération qui avait grandi dans les années 90, persuadée qu'elle était alors d'avoir le futur (le vrai, celui de l'an 2000) devant soi. La suite on la connait : le 11 septembre, le fiasco de l'équipe de France au Mondial 2002, le ONPPPATLM de Laurent Ruquier, les rapports du GIEC... Et enfin la mort de Philippe Nikolic en 2009, pourtant selon moi le plus beau des 3. Le monde était condamné à sombrer petit à petit. Les nuits blanches sur MSN et l'arrivée des séries US, qui passaient bien le temps, ne purent effacer l'amertume de beaucoup trop savoir où on allait, dans un monde fait de larmes amères et de pluies acides même pour les meilleurs d'entre nous, qui décrochèrent au fil du rasoir, et à la sueur de leur front, une école d'ingénieur du concours CCP pas trop mal placée dans la deuxième partie du classement national des formations génie-industriel à fort potentiel. On avait beau se passionner pour le rock, la techno, Céline Dion et les chansons Disney à 3h du matin, rien pour remplir le vide laissé par le bug de l'an 2000 qui n'avait même pas eu lieu. Tout n'était que mensonge. Relativisme. Perte des valeurs chrétiennes.
Vingt ans plus tard, on attend en tremblant le 6e rapport du GIEC. On se replonge dans le passé, mais pas trop loin non plus, parce que la différence de pression est trop forte entre les époques, ça pique.
Je retombe alors sur cet album, Délivrance, aux évocations eschatologiques que j'avais ratées, à l'époque où je le découvrais. Le groupe s'appelle Gratuit et je le vis en concert ce weekend-là, la place n'était pas très chère. J'achetai l'EP pour le ramener à la maison. Je me souviens, ça parlait de loups, de chair, de promesses oubliées, de solitude... d'amour et de feu.
https://youtu.be/4m05G-QrCds