Il est né le divin enfant. Trois ans et un nombre impressionnant de concerts après le très prometteur Nuits Rouges, KIEMSA accouche enfin de son chef d’œuvre. On l’avait bien senti, depuis les premières esquisses musicales de Question Idiote, le potentiel était là. Et ce ne sont pas les chanceux qui, comme moi, ont eu l’occasion d’assister aux performances scéniques du groupe qui diront le contraire. Seulement Nuits rouges péchait encore par un léger manque de soin dans la finition, un album presque enfantin. Eaux troubles est l’album de la maturité artistique. Les sept gaillards ont trouvé leurs marques, le festival peut commencer.
Passée la célèbre introduction à la basse d’ « Orange Duck », le ton est donné. KIEMSA, cuvée 2006, a la rage. Cuivres et guitares se déchaînent, Martin ne ménage pas ses cordes vocales. Les influences metalliques naissantes sur l’album précédent occupent maintenant une place de choix. L’apogée de cette démarche est atteinte sur « Spectre ». Le gentil ska sautillant est écrasé sous un mur de saturation et les cuivres relégués au second plan. Maîtrisant parfaitement les ficelles du genre, le groupe joue du contraste guitares puissantes/clavier mélodique et innocent. Martin n’en a pas oublié pour autant de se creuser les méninges pour nous écrire un excellent texte, histoire originale et intrigante.
Nous pouvons élargir cette dernière remarque à l’ensemble de l’album. Une fois de plus, les textes sont un des nombreux points forts de celui-ci. On voit ainsi, entre autres, l’apparition du croustillant personnage d’Orange Duck, alcoolique notoire, qui fera un retour fracassant en 2009 (« Délices »). Toujours politiquement et socialement engagé, KIEMSA n’oublie pas de nous servir son lot de chansons revendicatrices, toujours aussi justes et bien senties (« Armada », « Mass media », « Faut consommer », « Kiemsa sucks »).
Il serait toutefois hâtif de conclure à la disparition des racines ska/punk de la bande. On les retrouve bien sûr dans les paroles mais également sur des morceaux comme « Armada » ou « Faut consommer ». Le premier n’aurait pas fait tâche sur Nuits rouges, c’est certain. Quand au second, il est le parfait exemple de l’évolution musicale du groupe. Sorte de piste de transition entre l’ancien et le nouveau KIEMSA, l’équilibre y est trouvé.
Il me parait nécessaire de consacrer maintenant un paragraphe de cette chronique au grand héros de l’album, j’ai nommé Martin Hallier. Non content d’être un parolier novateur et inspiré, le bougre possède un timbre de voix des plus appropriés à la musique de KIEMSA. Il a donc suivi l’évolution de l’ensemble et a durci le ton. Ses progrès, tant en termes de diversification que de maîtrise sont impressionnants. On sent l’expérience de la scène derrière tout ça. Il s’essaye de nouveau à l’anglais (« Tequila guerilla », « Kiemsa sucks ») avec succès. Difficile de le prendre en défaut.
L’album contient évidemment, KIEMSA oblige, son lot de surprises et d’agréables inattendus. Citons au hasard, le passage arabisant (écrit et chanté par Sanaa El Mahdaoui) en plein déchainement punk/metal de « Qui veut savoir ? », l’apparition d’un violoniste (Florian Herry) sur « Sans un mot » et « Spectre », le retour gagnant de Saholy Diavolana pour un nouveau conte de mal-être amoureux (« Please stay »), j’en passe et des meilleurs.
Les soli, quand à eux, brillent une nouvelle fois par leur absence (rien de pénalisant) à une exception prêt. « Mass media » voit l’apparition presque timide du premier vrai solo de guitare sur un album de KIEMSA.
Vous l’aurez compris, cet album s’acoquine avec la perfection. Trois ans après Nuits rouges, nous retrouvons un groupe transformé, plus dur mais aussi plus fou (« Tequila guerilla » me donne toujours cette merveilleuse impression d’improvisation), doté d’une identité forte. Les gentlemen rockers arborent désormais leurs plus beaux costumes noirs sur scène, héritage du clip d’ « Orange duck » (Pascal Legitimus dans le rôle du poivrot, à voir à tout prix). Chacune des douze chansons de cet album est une véritable tuerie au potentiel live indéniable. Je pèse mes mots en disant que KIEMSA les exploitera à merveille par la suite. Le virage metallique amorcé par la bande pourra en rebuter certains mais ces derniers seraient bien mal avisés de bouder ce disque.
Une des meilleures productions françaises de ces dernières années.