First Base par Benoit Baylé
La découverte en profondeur des délaissés de la grande époque 1969-1973 entraîne bien souvent le mélomane nostalgique à se retrouver confronté à des albums qui, satisfaisants mais pas excellents, peuvent susciter chez lui un enthousiasme excessif. Ainsi persuadé de trouver la perle rare parmi des océans de raretés, il en oublie souvent son discernement et surestime des albums dont les principales qualités se révèlent en réalité faire partie intégrante d'une vilaine esbroufe. First Base des anglais de Babe Ruth en est l'exemple parfait.
Originaires d'Hatfield dans le sud-est de l'Angleterre, les cinq de Babe Ruth n'obtinrent pas la faveur de leur patrie avec le bien-nommé First Base. Ce fut en réalité aux Etats-Unis et au Canada que le quintet fit parler de lui, et pour cause : sa musique est à juxtaposer avec les chaleurs bienveillantes de la côte ouest américaine, à la fois funk et groovy, loin des lourdeurs sabbathiennes et des mystères zeppeliniens qui agitaient la Grande Bretagne à l'époque. S'il fallait comparer, Babe Ruth allie, à travers la chanteuse Jenny Haan, la force du chant de Janis Joplin (du pauvre, n'exagérons rien) aux expérimentations funky d'Atomic Rooster, le principal compositeur Alan Shacklock (guitare/orgue) n'ayant ni le talent ni la folie dans la composition de Vincent Crane.
Les premières minutes de First Base engagent pourtant Babe Ruth sur la voie d'un rock chamarré par le biais de l'ambitieux "Wells Fargo". La chanson, dont la qualité générale dépasse largement la moyenne des titres du genre grâce à un riff catchy et une ambiance à la fois lourde et jazzy, est aveuglément placée en première plage du disque. Ici se situe l'esbroufe. Placer la plus réussie des chansons en début d'oeuvre entraîne inévitablement la non-pérennisation de cette réussite sur le reste de l'album, et par conséquent un désintérêt exponentiel au fur de l'écoute. Certes, de nombreux sursauts d'audace se font remarquer au sein des six titres que composent First Base, à l'instar des lignes de chant de Jenny Haan, plutôt à l'aise dans son rôle de puissant garçon manqué, mais le tout est gâché par l'hétérogénéité globale de l'oeuvre. Les sonorités ne se recoupent pas ensemble, "Wells Fargo" fait d'ailleurs figure d'OVNI lorsqu'il est comparé à "Joker" ou "Runaways".
Souvent cité comme perle oubliée au sein des milieux progressifs, First Base est en réalité une simple esbroufe destinée à piéger l'auditeur clément qui se surprendra à apprécier l'oeuvre dans son ensemble à travers le fantôme de l'excellente "Wells Fargo". L'album a d'ailleurs peu de facteurs progressifs : si l'on omet la longueur générale des titres (tous avoisinnent les six minutes ou plus), rien n'y est réellement aventureux, à l'inverse de son successeur, le mitigé Amar Cabarello.