La révélation mélancolique

Il y a maintenant 5 ans, alors que ma vie se partageait entre une stérile végétation quotidienne et une passion tout aussi inutile pour le basket-ball, je découvris la musique. A l'heure où Pussycat Dolls, Akon et autres David Guetta envahissaient toutes les bouches de la récréation, je me réfugiais avec solitude dans ce que j'appellerais l'album du dépucelage : l'éponyme du groupe heavy Alice In Chains (1995). Fasciné, je le fus tout d'abord à la vision de cette pochette tragico-mélancolique, représentation photographique d'un chien sans quatrième patte, toujours debout. Je ne connaissais à l'époque rien du groupe, rien du rock, rien de la musique, et cet artwork dérangeant fut la première raison de mon acquisition.

Fasciné, je le fus ensuite par une voix. Celle de Layne Staley, alors artiste brisé bringuebalant entre ses deux amours, cocaïne et héroïne. Tantôt apaisée, tantôt déchirante, elle réveilla en moi un mal être à la fois déstabilisant et bienveillant. De ses coruscantes et diaboliques intonations, Layne maugréait son ras-le-bol d'une vie abstruse et insaisissable à travers 12 titres qui pourraient se résumer avec ces seuls vers, tirés de "Brush Away" : "I try to get away / And yet I stick around / So fall and crawl away / And brush away loose ground" ("J'essaie de m'en sortir / Et pourtant j'y reste fidèle / Alors je tombe et je rampe / Et je chasse ma raison"). Alice In Chains, ou la leçon de vie d'après un cocaïno-héroïnomane. Bien sûr, ces incantations n'auraient eu aucun retentissement si les musiciens accompagnant le précepteur étaient exempts de talent. Jerry Cantrell, sorcier harmoniste appuyé par une section rythmique démoniaque, nappait chacun de ses sortilèges de somptueux riffs, déroutants, tiraillants, déchirants... Alice in Chains, ou la fantasmagorie suprême.

Fasciné, je le fus enfin et surtout par ma réaction émotionnelle à l'écoute de l'album : la logique aurait voulu que l'exposition de mon petit cerveau vierge de tout malheur à une telle déferlante céleste et mortuaire me renverse dans tous les sens. Il n'en fut rien. Au contraire même, je me sentais libéré. Comme si la mascarade du sur-protectionnisme parental m'avait été révélé. En une heure de temps, j'avais grandi de dix ans. Je pris alors une décision, jamais trahie jusqu'alors. Je ferai de ma vie un sanctuaire musical, soit en écoutant, soit en pratiquant, soit en écrivant. J'ai aujourd'hui la chance de faire les trois.

Sombrez dans Alice In Chains, il changera peut être votre vie.
BenoitBayl
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le 9 déc. 2013

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Benoit Baylé

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