A la vue du chien à trois pattes à l'air maladif sur fond gris qui sert de pochette à son troisième album officiel, on se doute bien qu'Alice in Chains n'a pas fini de nous livrer un Hard-Rock déprimant et torturé à souhait...et on a raison ! Un an après la perte (on ne le dira jamais assez) tragique de l'icône planétaire du grunge qu'était Kurt Cobain, beaucoup voyaient déjà venir la fin de la popularité de ce rock des années 90. Et bien que l'on ne puisse nier que la fin de Nirvana était le début de la fin pour la scène grunge, on ne peut pas nier également que c'est à ce même moment qu'une dernière vague de chef d’œuvre marqua le paysage musical du grunge une dernière fois. A commencer par l'Unplugged posthume de Nirvana justement, mais également avec le "Superunknown" de Soundgarden (alors au sommet de sa popularité), ainsi que le superbe "Vitalogy" de Pearl Jam...et bien entendu cet album-ci, sorti un an après les albums cités précédemment, mais qui pourrait bien être historiquement LE dernier grand disque de Grunge (sauf si l'on inclut leur Unplugged).
Alice in Chains, c'est d'abord une voix, celle de Layne Staley. Cette voix qui vous prend aux tripes et ne vous lâche jamais complètement même une fois la musique terminée. Ce timbre souvent aiguë et aux envolées parfois déchirantes et pleines de justesse a largement contribué à forger l'empreinte musicale du groupe. Vient ensuite le son de guitare de Jerry Cantrell : à la fois hypnotique et pesant sans renier une efficacité "Heavy" qui agit sur les tympans de l'auditeur tel un véritable rouleau6compresseur. Son jeu particulièrement saisissant centré sur les tempos lourds et lents, mais qui n'oublie pas de glisser quelques solos le plus souvent marquants sans jamais verser dans la démonstration technique. Bien que les deux autres membres du groupe ne soient pas en reste question talent, il faut bien reconnaître que ce sont les deux premiers qui constituent le "ciment" du groupe et lui confèrent une identité et un son reconnaissable entre mille dans le monde de la musique.
Bien que ce soient toujours les mêmes recettes déjà présentes sur l'intemporel "Dirt" qui fonctionnent ici (à l'exception des deux EP quasi acoustiques et plus particulièrement "Jar of Flies" qui a su montrer une image particulièrement fine et émouvante du groupe), il faut bien reconnaître que cet album possède une couleur musicale et certaines nuances qui le font se distinguer notablement de son prédécesseur. En effet, si Dirt possédait par-ci par-là une certaine fougue que n'auraient pas renié la plupart des groupes de Heavy Metal avec des titres tels que "Them Bones", "Dam That River" ou "Would?", cet album semble bercé par une lenteur constante qui confère au groupe un côté encore plus psychédélique et enivrant que par le passé. A l'image de ce "Grind" au riff de guitare pachydermique qui ouvre le disque, les morceaux sont joués sur des tempos lourds et menaçants quasiment du début à la fin.
Toutefois, Il ne faut pas s'attendre à un disque linéaire pour autant : le refrain de "Grind" fait naître un contraste intéressant en proposant un refrain lumineux et enjoué par rapport aux couplets toujours un peu désabusés. Quant au classique "Heaven Besides You" à la rythmique tendue et sèche, il exprime mieux que n'importe quel autre morceau du groupe le talent d'Alice in Chains à faire naître au milieu de tourbillons électriques des parties acoustiques d'une clarté éclatante mises au service de refrains extrêmement classieux. Les paroles parlent de mort, mais également d'un désir de renaissance...Bien que Layne Staley n'ait pas écrit ce texte-là, il lui correspond à merveille quand on sait que ce dernier croyait en la réincarnation, et que son intégrité physique ne faisait pas très bon ménage avec la drogue qui le détruisait littéralement depuis déjà trop longtemps à l'époque.
D'une manière générale on peut considérer les six premiers morceaux comme les gros points forts du disque. Outre les deux singles cités plus haut, sortent également du lot "Sludge Factory" (qui sera plus tard magnifiée dans sa version Unplugged) à la mélodie pesante et captivante, l'étouffant "Brush Away", le morceau le plus sombre et le plus glauque du disque "Head Creeps" composé par Stahley lui-même, et le bizarroïde "Again" aux riffs plombés et aux secousses rendant l'ensemble chaotique et jouissif. Et si les trois ou quatre morceaux qui suivent sont nettement moins marquants et empêchent l'album de se hisser au même rang que "Dirt", il faut bien reconnaître que la fin du disque est d'une grande classe. Après un "Frogs" glauque et sombre à souhait, quoi de mieux pour conclure l'album qu'un morceau se nommant "Over Now" ? Ce morceau clôt étrangement le disque sur une note positive, joué en acoustique sur un air des plus chaleureux. Alice in Chains aurait presque l'air joyeux pour une fois (si, si!), là encore la version sur l'Unplugged vaut également le détour !
Alice in Chains délivre donc ici un excellent album, mais pas son testament : ce sera le rôle de leur magnifique Unplugged, qui verra la plupart de leurs plus belles chansons transcendées les unes à la suite des autres avec un Layne Staley en état de grâce malgré un aspect des plus triste. Car en effet, rien ne sera plus jamais pareil une fois le chanteur à la voix d'ange parti. On peut d'ailleurs voir sur cette pochette un triste présage : la patte manquante à ce pauvre chien souffrant, qui rétrospectivement symbolise le groupe, c'était lui...
Chronique écrite le 12 septembre 2014