Le CNN des favelas
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le 30 juil. 2022
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(chronique publiée initialement sur mon site http://la-musique-bresilienne.fr )
La Fuloresta do samba parait être l’archétype du groupe folklorique de world music pour gringos. Des percussions, des vieux messieurs à la peau sombre et ridée, coupeurs de canne à sucre, venant d’une petite ville du fin fond du Nordeste : tous les clichés sont réunis.
Le portrait n’est pas faux, mais passe à côté de l’essentiel. Car loin de s’enfoncer dans les clichés, le groupe de Siba les dynamite, anéantit le clivage tradition / modernité cher aux musiques du monde. Il balaie les lieux commun selon lesquelles une guitare électrique est moderne et un tambour traditionnel, il contredit magistralement l’idée que le rock ou le rap regarderaient en avant et les rythmes ruraux comme le maracatu en arrière. A Fuloresta do samba nous démontre que tous s’inscrivent dans une tradition avec ce qu’elle porte de richesse et de banalité et qu’il appartient à chaque musicien de la faire vivre en créant une œuvre personnelle. Siba le dit très bien: “nous n’avons jamais compris notre passé ou nos traditions comme une cage. Au contraire, notre tradition nous offre un vaste vocabulaire et nous nous efforçons de l’utiliser tout le jour et toute la nuit“.
Cette démarche n’est pas nouvelle pour Siba qui avant de fonder la Fuloresta do Samba, a sorti trois albums avec Mestre Ambrósio. C’était le groupe le moins électrique du mangue-beat, ce mouvement qui entendait régénérer la musique de Recife en mettant sur un pied d’égalité influences locales, nationales et internationales. Figure centrale de Mestre Ambrósio, Siba jouait de la rabeca (sorte de violon brésilien) et à l’occasion chantait, empoignait flûte et guitare électrique et commençait à affirmer son talent d’auteur-compositeur.
Quand Mestre Ambrósio prend fin, Siba qui vit depuis sept ans à São Paulo décide de revenir dans son Pernambuco natal. Mais contre toute attente, il ne s’installe pas dans la capitale, Recife, où il a grandi et vu naître le mangue-beat mais à 65 km de là, Nazaré da Mata, une petite ville de province. Une ville située à la Zona da Mata où bat le pouls du maracatu de baque solto.
Ce qui devait être une parenthèse de six mois dure plus de dix ans. Siba rassemble des musiciens de Nazaré da Mata totalement inconnus hors de chez eux au sein du Fuloresta do samba. Mais on est loin de la démarche superficielle de DJs ou producteurs du type Ry Cooder ou Gilles Peterson qui montent des groupes le temps d’un album, en passant une ou deux semaines sur place. Pour Siba, le maracatu, la ciranda, ne sont pas une mode ou un projet parmi d’autres. Il a grandi en écoutant ces musiques et cette poésie orale, et cherche en elles son salut.
On trouve parmi ces musiciens anonymes des figures vénérables et respectées du maracatu (Biu Roque, Mané Roque et Manoel Martins) accompagnés de musiciens plus jeunes. Le groupe se partage entre une riche section rythmique (tarol, bombo, mineiro, póica, et gongué) et de cuivres (trombone, trompette et saxophone). A noter aussi la présence sur certains titres de membres du groupe de la fameuse Lia de Itamarca, la participation du vénérable Mestre Barachinha et celle du jeune Maciel Salu, fils du légendaire Mestre Salustiano.
La Fuloresta do Samba enregistre son premier disque en 2002, à Nazaré da Mata même, grâce à un studio mobile. Le groupe garde l’esprit du maracatu de baque solo, celui d’une fête de rue qui dure toute la nuit, mais apporte le soin du détail et la concision propres au disque. Siba explique, “Il est impossible de reproduire la manière dont on implique la communauté dans la poésie et la danse durant toute une soirée mais dans l’heure où les 90 minutes que les festivals nous offrent, nous avons une grande opportunité de montrer notre impact musical“.
Et quel impact musical! Dès les premiers notes du morceau titre Fuloresta do samba qui ouvre l’album, on sait qu’on n’a pas à faire à une petite fanfare de village mais à une œuvre intense et exigeante, pleine de nuances, de jeux sur les textures et les timbres. Siba peut compter sur l’incroyable voix de Biu Roque qui interprète Soldado de Aldeia et le morceau du domaine public Maria, Minha Maria que Siba illumine de sa rabeca. Outre les superbes, Suinã, Tempo, et Barra do Dia, le sommet de l’album est sans conteste Vale do Jucá, un morceau qui sera plus tard repris avec grâce par Metá Metá.
Ce premier album du Fuloresta do samba démontre avec éclat la puissance poétique et la modernité du maracatu de baque solto et de la ciranda, qui sont joués moins que jamais comme des genre figés ou qui n’auraient droit de cité qu’à l’époque du carnaval. Encore plus qu’avec Mestre Amborisio, Siba est confiant dans les potentialités esthétiques du maracatu. Il rénove la musique du Pernambuco de l’intérieur, comme le fit en son temps Paulinho da Viola avec la samba de Rio, fort de l’appui des anciens et peut-être surtout de la fougue de sa jeunesse.
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Créée
le 11 août 2021
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