On le sait depuis longtemps, Eddy est passionné de cinéma mais attention, pas n’importe lequel, pas de blockbusters remplis de super héros et super héroïnes (très peu pour lui), pas de drames lacrimaux (il déteste « The Kid » de Chaplin dont le seul but pour lui est de « faire pleurer dans les chaumières »). Non, on parle du cinéma hollywoodien des années 40 aux années 60, celui qui faisait rêver le petit Claude Moine quand son père l’emmenait au ciné à Belleville. Un cinéma rempli de grands espaces, de westerns en Cinémascope, de cowboys et d’Indiens, des films d’aventures à la Errol Flynn, Robert Taylor ou Tyrone Power mais aussi des comédies légères, il a par exemple enregistré la chanson du film « Marty » de 1955 avec Ernest Borgnigne. Une passion qu’il a fait partager au public pendant 2 décennies dans son émission « La dernière séance » sur France 3. Pas de surprise donc avec cet album sorti en 2009, Eddy se tourne vers les chansons des films de ces années-là adaptées en français et en s’offrant une récréation agréable certes, mais pas incontournable. Il est entouré logiquement de musiciens venus du jazz plus que du rock ou de la country.
Au final, Eddy nous propose une collection inégale, sans doute trop longue, entre des hits très connus (« Knockin' on Heaven's Door » de Bob Dylan, « Raindrops Keep Fallin' on My Head » de B. J. Thomas, « Les Feuilles mortes » d'Yves Montand, « Hier encore » de Charles Aznavour, « Walk the Line » de Johnny Cash, « Over the Rainbow » de Judy Garland...) et des morceaux plus confidentiels, pas tant que ça sur le total des titres mais c’est là où je le trouve plus intéressant. On trouve quelques bons moments quand même comme « Midnight Cowboy » avec une adaptation soignée ou encore « Je t’appartiens » écrite par Gilbert Bécaud et popularisée dans le monde anglo-saxon par les Everly Brothers. Le duo avec Mélody Gardot sur « Over the rainbow » en version bossa-nova fait vraiment partie des meilleurs moments de cet album, délicieux.
Mais sur une bonne moitié de l’album, le fan a du mal à trouver son compte, trop mou, trop prévisible, des arrangements peu convaincants, une voix qui apparaît souvent fatiguée, l’ennui finit par pointer immanquablement le bout de son nez. « Pleurer des rivières », « Walk the line », « Si toi aussi tu m’abandonnes » ou encore « Celui qui est seul », voilà certains des morceaux qui n’arrivent pas à la cheville des versions originales ou même d’autres reprises, pensez par exemple au tube de Victor Lazlo grâce à « Cry me a river », celle de Diana Krall est aussi superbe, ou la version hard rock des Guns n’roses de « Knockin’ on Heaven’s door »... Comme si Eddy s’était laissé enfermé dans des versions trop formatées, pas assez originales, dommage. Et puis, le pire est que ce « Grand écran » s’achève par une nouvelle version de « La dernière séance » réarrangée qui est franchement ratée, ça, c’est gênant. Elle est voulue comme un générique de fin mais la cible est loupée et ne nous fera jamais oublier la version originale de 1977, c’est un peu un résumé de tout cet album.
Voilà une gentille récréation, après tout, pourquoi pas, quand on n’a pas de nouvelles chansons prêtes sous la main, les reprises peuvent toujours servir. Et ici, elles sont cohérentes avec l’artiste, lui qui s’est toujours inspiré du cinéma pour nous concocter des chansons qui étaient comme des petits films de 3 ou 4 minutes, nous racontant une histoire. Sauf que là, l’alliance entre le cinéma et la chanson a du mal à fonctionner, malgré tout le talent d’Eddy (et il est grand) et celui des musiciens qui ont participé (Lee Sklar, Jeff Hamilton ou Paulinho Da Costa font partie de l’équipe). Ça n’est bien sûr pas grave, surtout dans une carrière de 6 décennies qui compte de nombreux chefs d’œuvre, on n’en voudra jamais à M’sieur Eddy.