Big City Lights
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Il y a quelque chose dans la musique de Rodney Allen, un truc qui n’est pas ou plus ailleurs.
Ce quelque chose n’est pourtant pas la confidentialité de son créateur, l’aura de mystère mystique qui entoure l’album et sa maison de disque – la bien nommée Subway Organisation – aux productions erratiques. S’il est vrai que le doux parfum de renfermé et d’inconnu, la palpitante sensation d’explorer le caveau poussiéreux d’un musicophile oublié, de raviver le délicat souvenir d’un temps perdu, offre son lot de satisfaction béate, d’idolâtrie facile, artifice consommé pour médias aux mœurs retorses. Titillons la corde sensible, la vertu du collectionneur frénétique. Un attrape-nigaud tout au plus qui, s’il attire en premier lieu, débecte à la longue.
Pourtant, Happysad tourne à l’infini, valse circulaire sans aboutissement aucun.
Ce quelque chose, quel qu’il soit, parle au cœur et aux sens, au toucher, au goût, envahissant.
Ce quelque chose est peut-être la voix candide de Rodney, ses envolées timides vite réfrénées, sa sensibilité à fleur de corde vocale (« The Cost Of Living », « No One In Particular »), son timbre chevrotant, comme une larme sans cesse retenue, comme une feuille morte en chute permanente qui jamais ne connaîtra le choc terrestre, seul demeurant alors le frisson du vertige.
Une voix si humaine, si sincère qu’on lui pardonne les errances de l’amateurisme comme on a pardonné à Stille Oppror, comme on pardonne toujours à celui qui met son âme à l’ouvrage.
Ce quelque chose est surement la trompeuse simplicité des compositions du disque.
Une bête gratte vaguement électrifié, quelques accords aux origines acoustiques indéniables, un son clair, brut, variations pulsatrices d’un canevas initial directeur (« Happy Sad »). Rodney Allen n’est jamais plus beau que lorsqu’il épure à l’extrême sa recette, dégraisse sauvagement, écorne, synthétise. Preuve en est l’évidente baisse de régime centrale (« Decisions Like These », « Juliane »), alors que la formule se perd, diluée dans d’inutiles divagations annexes, alors que la voix s’efface au profit d’instrumentales dispensables, alors que l’électricité éloigne la note de son sens, l’écoute s’étiole, l’attention s’égare. Le sursaut salvateur (« Coming Up For Air », fort bien nommé lui aussi) jaillit enfin, remet l’album sur les rails, redéfinit les règles, rend sa magie à la création et pousse l’album sans ménagement vers son dantesque final (« Thrills On Wheels », « Bittersweet 16 »).
C’est peut-être de ça qu’il s’agit, cette petite formule Célinienne, ce signe indiscutable du génie. Car cette simplicité, cette accessibilité du premier instant – cependant maintenue à long terme – est une gageure des plus complexes, souvent revendiquée, souvent recherchée, rarement atteinte. Et c’est à un maître en la matière que nous avons à faire, un orfèvre du presque-rien, un maniaque du pas-grand-chose, un grand artiste.
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Créée
le 16 avr. 2015
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