Echec au roi.
C'était mieux avant ? Really ? A en croire l'adage, il faut bien s'y plier. Quoi qu'on en dise, le mécanisme est tout de même extrêmement pratique : le totem posé au centre la tribu, le chef peut s'y...
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le 11 sept. 2019
C'était mieux avant ? Really ? A en croire l'adage, il faut bien s'y plier. Quoi qu'on en dise, le mécanisme est tout de même extrêmement pratique : le totem posé au centre la tribu, le chef peut s'y référer dès qu'il voit pointer l'ombre d'une menace pour son ordre conservateur. Les fesses encore engourdies sous les coups du petit engin totémique, assez bien fichu pour frapper les sceptiques à la curiosité trop développée et nourrissant les envies de progrès, le petit rêveur de nouveaux horizons s'isola. Son arrière-train n'était pas le seul à voir rouge : il pianota sur son clavier et trouva un asile propice à ses extravagances modernisatrices.
A l'heure où les refuges se raréfient au rythme effréné d'une décision lapidaire de l'heure, on a tendance à croire au miracle en ce qui concerne BADBADNOTGOOD. A la suite d'une audition, le trio canadien essuya une vive réprimande de la part de leur professeur de jazz : auteurs d'un medley du rappeur américain Tyler The Creator, les musiciens se seraient rendus coupables d'un manque de valeur musicale. A la bonne heure, les gamins connurent le succès sur Internet après avoir posté une vidéo de la même œuvre sujette à la critique du chef de tribu garant de la protection de la musique véritable. Un véritable coup de maître ; échec au roi.
On aime à penser que le nom du groupe provienne de la bouche de l'enseignant récalcitrant. Le qualificatif ne fait pas dans la dentelle, et le trio semble s'en amuser : Alexander Sowinski aime arborer un masque de cochon durant les concerts. A mi-chemin entre la fable espiègle et l'anonymat numérique duquel ils se sont extirpés, BADBADNOTGOOD paraît personnaliser la bande de galopins par excellence, drôlement facétieux et irrésistiblement désinvolte. En somme, quand des Millenials sans vergogne investissent le jazz, une excitante magie opère. Le roi est mort, vive le roi, comme dirait un autre adage.
Matthew Tavares aux claviers, Chester Hansen à la basse et la batteur à la tête de cochon, que nous avons déjà croisé, mettent leurs instruments au service d'un profond enthousiasme. Le trio occupe généreusement l'espace, exploite pleinement le terrain, défriche à grand renfort d'une brillante liberté. Ils évoluent, sur leur troisième opus, avec toute l'impunité qui leur est désormais due. En voilà une Montagne d'Or qui serait moins sujet à dispute ! Ou peut-être pas.
En effet, discuter des sonorités de BADBADNOTGOOD équivaut sans doute à mettre le doigt dans un engrenage périlleux. Fervents chantres du hip-hop américain, les comparses sont accompagnés d'une réputation d'éminence grise du jazz, qu'il serait d'ailleurs difficile de contrecarrer au regard des collaborations nombreuses des Canadiens. Suivant l'analyse de la journaliste américaine Paula Mejia, qui évoque des « révolutionnaires du hip-hop et de la musique électronique », il est certain que l'écoute de III réserve des surprises sonores et stylistiques inspirantes.
Immortalisant le trio et ses angles aiguisés, Triangle déploie une énergie aventureuse toute équilatérale. On tisse allègrement, nerveusement, immédiatement. L'arrivée d'une menace toute goguenarde est figurée par le martellement des sonorités, mais cette perspective laisse transparaître dans le même temps l'ombre d'une mélancolie tendre.
Eyes Closed souligne de fait une langueur savamment orchestrée, tandis qu' Heron semble mettre en musique l'enterrement des préceptes honnis. N'est-ce pas le sous-entendu imprimé sur la pochette de ce III ? Magistralement servi par les instruments du trio, l'album parle de lui-même : complaintes assurées par le saxophone de celui qui deviendra le quatrième musicien de la bande, Leland Whitty, sur Confessions ; effusion sur Kaleidoscope portée par la basse de Chester Hansen ; mansuétude au travers de l'obnubilant Since You Asked Kindly. Flottant dans cet univers sombrement lumineux, la force de BADBADNOTGOOD est alors visible ostensiblement. La bête est mouvante, manœuvre vaillamment et s'en donne à cœur joie. Et s'élance dans des recoins nouveaux.
Si l'on peut trouver des éléments qui laissent penser à une influence de la scène rap dans les morceaux précédemment cités, Can't Leave the Night et CS60 forment un miroir particulièrement révélateur à cet égard. Ils ouvrent l'espace et peuvent accueillir en leur sein tout kicker de mots désireux de dompter la créature. Mais sans jamais verser dans une béance vide de sens ou d'intérêt.
Ainsi, BADBADNOTGOOD contourne avec une volupté volontairement grotesque un autre adage, qui énoncerait que l'élève aurait dépassé le maître. Cependant, le trio s'offre la perspective de se foutre royalement de ces malencontreux obstacles. Qu'ils soient pion ou roi, les règles ont changé. A tel point que le sujet impavide peut envoyer valdinguer son supérieur couronné. Vous avez dit révolution ?
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le 11 sept. 2019
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