Nous avons parfois tendance à associer des albums à des moments particuliers de notre vie.
Parce que c'était celui qu'on écoutait à ce moment, parce qu'on se sentait proche de la musique, des paroles, bref, on a toujours une bonne raison pour être plus attaché à une œuvre qu'une autre.
Dans ce cas, si Kaputt devait être la bande-son d'un moment particulier, ce serait certainement celle d'une fuite.
Jamais un album ne m'avait paru si propice à cette action.
Ce serait une fuite pour tout laisser derrière soi. Une fuite immature et sans but, où on s'échappe de tout ce qui peut nous troubler, avec l'envie juvénile d'aller vers une meilleure situation.
On part sur la route, c'est le matin, le soleil vient à peine de se lever. Les premiers rayons de lumière commencent à arriver et le sentiment d'une renaissance nous envahit soudainement. L'espoir revient alors, inattendu.
Tout cela est contenu dans l'album de Destroyer.
Mais qui sont, ou plutôt qui est Destroyer en fait ?
Derrière ce pseudonyme se cache Daniel Bejar, singer-songwriter plutôt prolifique, puisque Kaputt est son dixième album studio. De la même manière que d'autres groupes tels the Divine Comedy, Daniel Bejar change régulièrement de collaborateurs musicaux, même si il voit Destroyer comme un groupe à part entière.
Kaputt se présente donc à nous sous une pochette monochrome. Un indice sur le contenu ? Même pas. Si ce genre de pochettes peut témoigner d'un album aux tendances mélancoliques, je ne trouve pas que la musique de Destroyer soit particulièrement propice à la nostalgie.
Son style est d'ailleurs plutôt complexe à définir. Si on veut tout mettre dans des cases, on peut dire que c'est un mélange de pop/rock indé, avec un côté jazzy prononcé mais également soul par ses chœurs. Le rythme est aussi bien plus soutenu que dans du rock. Bref, ce n'est pas simple de décrire précisément cet album.
Disons que l'ambiance est particulièrement propice au relâchement. La chanson-titre en est l'exemple parfait, et mérite qu'on y jette un coup d'œil ne serait-ce que pour son clip, délicieusement décalé.
Il suffit d'un simple accord de guitare atmosphérique, et on est lancé. La batterie nous transporte alors à travers les nappes de synthé. Les cuivres font ensuite leur apparition, laissant quelques touches baroques à travers la brume matinale qui ressort du morceau. La voix de Dan, délicieusement ironique, se pose enfin parfaitement sur des mélodies peu consistantes , où tous les instruments semblent flotter chacun dans leur nuage.
Le tout pourtant va rester étrangement cohérent au fil du voyage.
Kaputt dispose d'un feeling vraiment unique, une ambiance printanière mais non bucolique, comme une simple mais froide annonce des beaux jours à venir.
Une belle découverte en tout cas, voilà un album qui se démarque largement du lot des artistes indie.
L'excellent morceau-titre : http://www.youtube.com/watch?v=puu3IvKnSb4
EDIT : Après plusieurs années, je me rends compte que je reviens beaucoup plus souvent sur Kaputt que je ne l'aurais imaginé. Le temps n'abîme en rien sa qualité, au contraire même, plus il passe et plus mon affection pour cet album grandit. Je crois que ce qui différencie véritablement Kaputt du reste est l'aspect délibérément sophistiqué et somptueux de sa mélancolie. Plutôt que de partir dans le pathétique dépressif, Destroyer tisse un tableau aérien de son humeur, où subsiste un véritable amour pour la fuite et la création de belles choses.