Le Toit du monde
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Le Toit du monde

Album de Sinik (2007)

Peut être est-ce parce que Sinik s'imagine sur le toit du monde qu'il n'arrive plus à progresser depuis son premier album en 2005. Pire encore, son troisième album marque définitivement le déclin pour le rappeur de l'Essonne qui, au lieu de juste trébucher à cause de quelques faux pas, finit par tomber de haut et la chute pour sa carrière n'en sera que plus grande.

Le rappeur avait pourtant vu les choses en grand pour ce nouvel album, puisque pour coller au nom de celui-ci, les journalistes avaient été conviés en décembre 2007 au sommet de la Tour Montparnasse. L'intéressé avait alors expliqué qu'il voyait son nouveau travail comme un moyen d'avoir une vue d'ensemble sur le monde et ses problèmes. Les thèmes de ses morceaux allaient alors devenir plus globaux et offrir à l'auditeur une nouvelle vision sur ce qui se passait autour d'eux.

Pourtant un sentiment contraire plane dans l'air après l'écoute de ce troisième album qui ne semble pas tenir toutes ses promesses. Bien que l'énoncé du concept laissait un peu douteur, il pouvait réussir à créer de l'intérêt avec peut être à la clé, un réaffirment de la personnalité et un changement du style du rappeur. Au lieu de ça, l'auditeur ne peut qu'assister aux limites du concept et constater qu'au final, l'album paraît assez nombriliste à y regarder de plus près. Même s'il parle beaucoup de ses proches, qu'ils soient en prison, morts ou perdus de vue, le rappeur semble parler beaucoup de lui-même. A première vue ce n'est pas un défaut, beaucoup d'artistes parlent de leurs aventures personnelles et de leur vécu dans leur musique, et le monde du rap n'échappe pas à la règle. Le couac se retrouve dans la manière dont Sinik raconte ses histoires et les interprète. Là où rien que le titre de l'album dit apporter une vision plus globale de la pensée de l'artiste, Sinik semble ne parler que de lui, ses anecdotes avec ses proches ou autres mauvais souvenirs avec les forces de l'ordre ne sont que prétextes à parler de sa personne.

Ce qui amène à des situations contraires voire hypocrites ; l'artiste endossant par moment l'habit du personnage peu recommandable, qui envoie bouler ceux qui voudraient l'aider tout en demandant du respect en retour. Le soucis c'est qu'ici l'habit fait malheureusement le moine et que Sinik souffre d'un de ses plus grands défauts depuis Sang Froid ; il se prend trop au sérieux. Difficile de dire vraiment d'où cela vient mais le rappeur semble vouloir prouver régulièrement qu'il est un dur, qu'il a eu un passé marquant, et qu'il ne faut pas le chercher. De nombreux rappeurs français cultivent l'image de gros bras auxquels il ne vaut pas mieux chercher des ennuis, l'auditeur arrive toujours à sentir un certain second degrés, ou en tout cas à apercevoir la frontière entre le réel et la musique. Booba avec ses derniers opus est le parfait exemple avec ses textes trop gros pour être vrais et son image de mauvais garçon à l'américaine. Sinik quant à lui semble bloqué dans un premier degré qui semble cacher une envie insatiable de se faire respecter, pour au final ne plus savoir vraiment à qui il souhaite s'adresser.

Des titres comme "L'Essonnegeless" ou "Trop pour un seul homme" sont remplis de phases où l'artiste rappe sa hargne contre la police et insiste sur le fait qu'il en a vu des vertes et des pas mûres, et sont clairement destinés à un public avide d'histoires sur les banlieues et de phases violentes. Le summum est atteint dans l'inutile et navrant "Représailles", storytelling de 6mn d'une histoire qui serait arrivée à Sinik quelques années plus tôt, et qui aurait vu le rappeur et des amis pris dans une fusillade, avec en prime un très mauvais jeu d'acteur de sa part. Savoir si cette histoire est vraie ou non n'a pas vraiment d'intérêt mais si ne serait-ce qu'une petite partie l'est, la question est plutôt de savoir ce que ce titre fait sur cet album. Le premier degré qui plane dans l'air rend chaque anecdote ou rime de Sinik lourde voire insupportable et finit par laisser l'auditeur dubitatif. Un peu comme si Sinik était le seul à ne pas se rendre compte qu'il allait trop loin dans son rôle.

Le reste des morceaux n'aide pas à discerner où le rappeur semble vouloir aller et renforce encore plus le caractère contradictoire de l'album. Si l'artiste semble vouloir se faire respecter coûte que coûte en jouant sans cesse au dur à travers des rimes qui deviennent stéréotypées, il est bien meilleur quand il tombe le masque et parle un peu plus sans fard. Ainsi le titre "Mes pensées", sans être génial, permet de retrouver un Sinik censé, nostalgique et conscient des épreuves passées sur des notes de piano. "Rue des Bergères" aurait pu être un single avec l'une des meilleures instrus de l'album, son air chaleureux et son refrain tout trouvé. Malheureusement dès qu'une bonne idée est trouvée, elle est immédiatement tuée dans l'œuf. La preuve dans le morceau "Notre France à nous" où au lieu de présenter la jeunesse des banlieues sous un bon jour en évitant si possible les stéréotypes, Sinik, la tête dans le guidon, tombe dans le panneau. "Né sous "X"", le seul morceau qui sort de l'ordinaire parmi les 14 de l'album se retrouve handicapé par la performance de Sinik, incapable de varier son interprétation. En featuring avec sa collègue Diam's, il conte l'histoire d'une fille mineure tombée enceinte par accident d'un jeune dur qui l'abandonne dès qu'il apprend qu'il est le père pour finir par le regretter. C'est un très bon sujet qui aurait mérité beaucoup mieux si le rappeur des Ulis pouvait nuancer son rap, chose que Diam's fait assez bien, empruntant une voix douce et des rimes plutôt bien trouvées, tandis que son partenaire garde le même ton agressif.

"Daryl" est le deuxième morceau qui tente un nouveau concept dans l'écriture mais une nouvelle fois, le plus grand point faible du titre est son interprète. Il y conte les échanges épistolaires qu'un jeune africain et lui auraient échangés, le premier étant un véritable fan du deuxième. Pendant 4mn, Sinik y conte ses impressions sur le courage de cet enfant qu'il n'a pas rencontré, chaque couplet correspond à une personne différente, Sinik jouant ainsi les deux rôles. Si l'instru n'est pas trop mal et colle plutôt bien à l'ambiance, le bas blesse vraiment du côté du rappeur. A tel point que la question sur les limites du talent du rappeur vienne à se poser. Là où Sinik critiquait Eminem au départ de Sang Froid, il aurait peut être fallu qu'il prenne note de l'interprétation du rappeur de Détroit dans "Stan". Si le lien peut paraître facile voire hors-compétition, au moins Slim Shady prouvait qu'il avait une palette de voix, de flow et de jeu inépuisable pour jouer ces deux personnages pour encore plus mettre l'auditeur dans l'ambiance.

Malgré ces deux titres qui ont au moins le mérite d'exister, l'album souffre du même défaut que son prédécesseur ; celui d'être trop prévisible, en tout point. Si quelques productions osent quelques sonorités différentes comme des sons de cloches ou des basses plus lourdes, elles restent beaucoup trop simples et surtout très lisses. Les morceaux qui se veulent les plus durs ne font vraiment pas l'effet escompté et font même pâles figures comparées à des productions du début des '00s beaucoup plus poisseuses et étouffantes. Pour le reste, le piano est utilisé sous toutes les coutures jusqu'à devenir lassant et navrant devant si peu d'ingéniosité. Cela n'a jamais été le point fort de Sinik, mais on peut regretter qu'avec son troisième album, il n'ait pas réussi à trouver une couleur musicale qui lui soit propre, plutôt que ces instrus sans réelle personnalité. L'intention de varier les sonorités semblait être pourtant une des idées de Sinik comme avec "Daryl" et son ambiance africaine, mais avec "Dans mon club", le rappeur aurait peut être mieux fait de s'abstenir. Titre plus que dispensable et véritable mauvaise parodie d'un "In da club" de 50 Cent, Sinik se permet même de critiquer l'américain au détour d'une rime. Le titre du rappeur du Queens avait au moins le mérite de faire bouger les foules grâce à son groove imparable, le titre du rappeur des Ulis ne fait que passer pour une mauvaise blague qu'il vaut mieux vite oublier.

Tout comme le single majeur de l'album, le titre "Je réalise" avec James Blunt, qui aura réussi à la fois de faire connaître Sinik a un plus grand public et à la fois d'étouffer tout autre single plausible tout en mettant plus en avant la faiblesse des autres morceaux. Dernier titre de l'album, le morceau a le mérite d'être la collaboration la plus inattendue du rap français avant Rohff et son featuring avec Jena Lee. Single aseptisé au possible, Sinik se fait presque voler la vedette par le chanteur anglais, à tel point qu'il ne ressemble plus en rien à un titre rap. Le rappeur ne fait même pas d'effort pour imposer son univers au titre, se contentent de rapper de la manière la plus nonchalante possible des phases pas toujours des plus inspirées. Encore une fois l'impression que Sinik n'a aucune personnalité transparaît à travers le titre, tellement il n'ose rien de nouveau. Le single a pourtant fait les beaux jours de la radio Skyrock que l'on avait déjà retrouvé en la personne de Fred au début de Sang Froid et a permis aux parents d'apprécier le temps d'un morceau du "rap français". Fait hypocrite quand le titre qui précède "Je réalise" est "Représailles" et ses histoires de fusillade, de meurtres et de filles peu dociles et quand on regarde le discours de Sinik tout au long de l'album. Cela montre surtout que le rap français, pour être accepté des masses doit se plier aux codes des grandes institutions et être lisse au possible.

Censé être un album avec une vision plus globale et tournée sur le monde, le troisième album de Sinik paraît au contraire renfermé sur l'artiste qui a de plus en plus de mal à cacher ses limites en tant que rappeur ; son flow, l'un des moins techniques du circuit, en est la preuve numéro un. Ce troisième album montre ses lacunes titre après titre et ne tient pas ses promesses pour peu qu'il n'y en ait eu. Sang Froid, son deuxième opus, à y regarder de plus près, était plus tourné sur l'extérieur avec un regard sur l'actualité.

Ecoulé à plus de 250 000 copies, Le Toit du Monde est le deuxième meilleur succès dans les charts de Sinik derrière Sang Froid. Le rappeur des Ulis confirme alors sa renommée et était promis à un avenir prometteur une fois le cap du troisième album passé avec autant d'aisance. Malheureusement, le toit sur lequel Sinik semblait tenir s'effondrera dès cet album oublié et verra Sinik incapable de revenir autant en forme que les ventes l'avait laisser présager jusque là. L'artiste n'avait sans doute pas les épaules ni l'étoffe des plus grands et avait fait son temps, lui qui les deux derniers albums sont passés incognito. Sinik n'était pas "incompris" comme le dit son 10ème morceau, au contraire, il était très bien compris par un certain public et client de ce qu'il avait à offrir sur le moment ou ce que des radios comme Skyrock voulaient bien le laisser dire. N'ayant pas réussi à rester dans la tendance, et à durer dans le temps, ce troisième album paraît bien vide et ne pouvait que voir l'intérêt du public diminuer, laissant son auteur seul au monde, à défaut d'en être sur le toit.
Stijl
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le 15 janv. 2014

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