Lex Talionis par Benoit Baylé
Sol Invictus. La dénomination résonne comme une sombre incantation. L’appellation des fantômes funèbres, des rebus impromptus, des ectoplasmes marasmiques. Celle des croyances déçues, des espérances déchues, des résiliences ardues. Si le Sol Invictus (latin pour Soleil Invaincu) de l’empereur Aurélien, instigateur au cours du IIIè siècle après J.C de l’émancipation de cette nouvelle divinité astrale, appelait à une cohésion des armées, une universalité des provinces et des peuples, celui de Tony Wakeford ne se complait pas dans les réjouissances nauséabondes et collectives, il préfère les éviter au profit de réelles pestilences méphitiques et solitaires. Vengeur, il s’attache à n’être imbattable que dans le macabre, à se défendre pour rendre l’inévitable encore plus irrémédiable. La seule cause de Sol Invictus en 1990 ? Le fatalisme. La faute au monde moderne, dévasté par son matérialisme ravageur et ses religions délétères (en particulier le christianisme).
Cette triste vision du monde provoque, peu avant la création de Sol Invictus, une grande attirance de Tony Wakeford envers l’extrême droite anglaise, ce qui lui vaudra son éviction de Death In June, l’illustre groupe de gothique/dark folk qu’il avait auparavant co-fondé avec Douglas Pearce. L’esprit malicieux et revanchard, Wakeford, phagocyté par les pensées noires qui abondent dans sa folie extrémiste et sa fascination du mysticisme allemand de 36/45, créé un nouveau groupe, qu’il dominera de par sa dénomination radicale (il aurait très bien pu appeler son groupe Soleil Noir, par ailleurs…) et son impérialisme implacable. Sol Invictus se présente comme un groupe collectif, en réalité le compositeur jouit de l’asservissement fidèle de ses compères. Le Wakeford de 1990 n’est pas engageant humainement, et cette misanthropie doublée d’une haine du monde apparaît aussi clairement que de l’eau bénite dans Lex Talionis.
En français, la Loi du Talion (Lex Talionis) pourrait être affiliée au dicton « Œil pour Œil, dent pour dent ». Chaque coup encaissé doit être, conformément à un précepte légal, justement rétribué, c’est-à-dire avec autant, si ce n’est pas plus de force. Quelle justice… Impitoyable mais loyale, chétive mais logique. Irréversible. Le temps de 47 minutes, la Loi du Talion ressurgit des plus anciens mythes, romains, grecs ou égyptiens, et sert de sa verve déflorée les nouveaux contes du XXè siècle, ceux d’un temps où le combat est inutile car perdu d’avance, ceux d’un monde où ce non-combat apparaît comme une victoire. Pour dépeindre cette résiliation ambigüe, Sol Invictus assomme son audience de distorsions si abusives qu’elles en perdent toute consonance agréable (« Tooth and Claw »). Tony Wakeford gratifie les instrumentations apocalyptiques de sa voix la plus décadente, parfois juste, parfois non (« Lex Talionis »). Le plus paradoxal dans cette vomissure déshonorée, c’est qu’elle apparaît parfois belle (« The Ruins »), réjouissante (« Blood Against Gold ») et même épique (« Heroes Day »). Et les efforts du compositeur désabusé n’en sont qu’à leurs débuts.