Aborder un album d’Abigor n’est jamais chose aisée, même dans la partie la plus « accessible » de leur discographie.
Déjà parce qu’on ne sait jamais à quoi s’attendre, tant le groupe de Peter Kubik a changé d’orientation et expérimenté, certes toujours au sein de la sphère black metal, mais dans des recoins aussi obscurs qu’ignorés du commun des mortels. Le comble a bien entendu été leur précédent album, Time Is The Sulphur…, dont la complexité n’avait d’égal que son charmant patronyme, album uniquement composé de deux morceaux de presque vingt minutes chacun.
Une chose est sûre cependant, Abigor a gagné en clarté avec ses derniers jets : si appréhender des albums comme Supreme Immortal Art ou Opus IV dans leur intégralité en essayant d’en décrypter les structures des morceaux donnait mal au crâne tant la musique était dense et la production parfois franchement confuse, les albums plus récents ont le mérite d’avoir un son tout à fait correct permettant d’entrevoir le bout du tunnel dans ce fouillis de plans tortueux.
Tout ça pour dire qu’un album d’Abigor suscite presque toujours chez votre serviteur à la fois une sorte de fascination et une appréhension face à la souffrance qu’il va falloir endurer pour digérer l’objet.
Cette longue introduction de ce dernier Leytmotiv Luzifer sert principalement à annoncer ceci : quoiqu’il fasse, la manière dont il s’y prenne, les expérimentations auxquelles il se livre, Abigor reste Abigor, un combo voué à l’occultisme et au satanisme dans le sens spirituel du terme, loin du folklore ou de l’antichristianisme primaire que cultivaient autrefois ses contemporains scandinaves.
Cette ligne directrice est clairement visible sur chacun des albums, ce dernier ne faisant pas exception.
Dans la forme, Abigor retrouve, dirai-je, des structures plus classiques, avec des morceaux qui durent autour de cinq minutes (à l’exception du dernier de onze minutes) et revient à quelque chose de plus organique. En effet, il est dit qu’aucun effet n’a été utilisé sur les guitares, ce par souci d’honnêteté et de pureté et pour obéir à une certaine tradition black metal. On a donc affaire logiquement à une musique plus épurée et compréhensible.
C’est effectivement le cas, car passées les premières écoutes qui désarçonnent comme toujours, les structures des morceaux, les riffs, le chant et les rythmiques sont tous déchiffrables sans trop d’effort ; la musicalité est toujours privilégiée, ce malgré des harmonies qui rendent parfois perplexes et des plans rythmiques un peu cassés.
Fini le côté froid et hermétique des expérimentations industrielles et électroniques, les samples de Fractal Possession et Time Is The Sulphur... ; si Abigor a gardé le même goût pour les plans alambiqués, ils s’inscrivent davantage dans un effort de construction et création d’atmosphères occultes que dans l’optique de présenter une succession aléatoire de phrases absconses où l’exploration de paysages sonores prime avant tout. Entre deux plans complexes, il y a toujours un passage plus orthodoxe et mélodieux pour se reposer l’esprit.
Plus agressif, plus direct, plus franc, plus axé sur le riffing de guitare.
La basse a encore une place de choix sur certains passages, avec un son rond et chaleureux et participe grandement à l’enrichissement des mélodies.
Il est à noter que Silenius, qui n’est plus officiellement dans le groupe depuis 1999, est ici sessionniste pour le chant ; il est épaulé par Protector, son collègue chez Summoning, pour les chœurs. Le rendu est fantastique, la preuve qu’il demeure LE chanteur d’Abigor : entre voix black et chant clair hystérique, vocifération haineuse et litanie plaintive, il assure sur tous les registres.
Voilà. J’ai tenté, tant bien que mal je l’avoue, de vous donner un peu mon ressenti de cet album. Abigor a la fâcheuse tendance à mettre à l’épreuve son auditoire à chaque nouvel album, qui doit sans cesse s’adapter à sa nouvelle forme. L’exercice, s’il est difficile, donne accès à une récompense qui justifie amplement les efforts fournis.
Je ne vais pas rentrer dans les détails du concept, qui pourrait être abordé seul dans une autre chronique.
Vous voici en présence d’un très bel objet, un coffret en format A5 brillamment illustré et contenant sans doute ce qu’Abigor a fait de mieux depuis Nachthymnen ; du moins, en ce qui me concerne.