(publié initialement sur mon blog http://la-musique-bresilienne.fr )


Si on cherchait à s’accorder sur le musicien qui incarne le mieux le Sud du Brésil, le débat ferait rage. En revanche, tout le monde serait d’accord pour désigner Luiz Gonzaga comme l’icône incontestable du Nordeste.


Luiz Gonzaga est né en 1912 dans une fazenda d’Exu, dans l’intérieur du Pernambuco, au cœur de cette région pauvre et rurale située au nord-est du Brésil. Son père est un joueur d’accordéon à huit basses très réputé. Marchant dans ses pas, Luiz Gonzaga ne tarde pas à se faire un prénom en animant les fêtes d’Exu et d’Arapire dans le Céara voisin. Mais à 17 ans, une malencontreuse idylle donne à sa vie un air de telenovela. Le père de la demoiselle s’oppose à la liaison, et bravache, Luiz Gonzaga va publiquement le défier avec un couteau. Le père, colonel, ne se laisse pas intimider et le menace de mort en retour. Luiz Gonzaga s’enfuit alors à pied jusqu’à la ville de Crato. Il vend son accordéon, prend un train pour Fortaleza et s’engage dans l’armée.


Suivent dix années où Luiz Gonzaga parcourt le Brésil avec son bataillon. Il continue la musique, mais comme il ne connait pas le solfège, il ne peut jouer que du clairon… C’est cependant là qu’il apprend auprès d’un camarade à jouer de l’accordéon à 120 basses. Après dix ans dans les rangs, il quitte finalement l’armée en 1939 et s’installe à Rio de Janeiro. A l’époque, la ville est le lieu d’arrivé de nombreux retirantes, ces migrants nordestins qui fuient leur campagne en quête d’une vie meilleure. Il vivote de son accordéon, jouant dans les bars et cabarets mal famés des airs à la mode: tangos, polkas et choros.


Le succès point quand il se décide enfin à suivre sa propre voie en laissant chanter l’accent nordestin de son accordéon. Il est repéré dans un programme radio présenté par le grand Ary Barroso. L’accordéoniste virtuose signe alors chez RCA Victor pour enregistrer des morceaux instrumentaux. Rapidement reconnu comme la référence de l’accordéon nordestin, il enregistre près de trente 78 tours entre 1941 et 1945. Mais le Luiz Gonzaga dont on se rappelle aujourd’hui ne nait véritablement qu’en 1946.


Il a alors convaincu sa maison de disque de lui donner sa chance comme chanteur, malgré sa voix nasale et son accent, qui tranchent par rapport aux canons de l’époque. Il cultive plus que jamais son côté Nordestin et délaisse le costume-cravate pour des vêtements de vacher nordestin ou de cangaçeiro, du nom de la bande des bandits de Lampião qui avait fait trembler le gouvernent brésilien quelques années plus tôt. Surtout, il a rencontré le cearense Humberto Teixeira. Avocat et poète, ce lettré devient la première plume de Gonzaga, et dépeint avec sensibilité et talent la vie de leur sertão rural.


Ensemble, ils composent en 1946 le morceau fondateur baião, qui inaugure le style du même nom. Luiz Gonzaga s’inspire des rythmes joués lors de la fête de la Saint-Jean ou des bals forró : toada, xaxado, xote, dérivé de la schottische allemande, ou quadrillha (quadrille). Mais loin de n’être qu’un passeur de ces styles, il les modernise d’une façon radicale. Sans doute pour ne pas avoir revu sa terre natale depuis plus de quinze ans, et avoir été privé de ses fêtes, il parvient à les transfigurer comme jamais.


Outre son accordéon, il s’entoure d’une section rythmique très réduite, composée d’un zambuba, un tambour populaire dans le Nordeste, et d’un triangle, instrument qui servait alors aux marchands ambulant pour signaler leur arrivée. C’est encore aujourd’hui la formation classique des groupes de forró, terme plus large que la baião et qui regroupe toute la musique et la danse nordestines nées dans le sillage de Gonzaga. Si on le présente parfois aujourd’hui comme le plus authentique représentant du forró traditionnel, il faut garder à l’esprit que c’est lui qui a inventé cette tradition et qu’il n’a rien d’un traditionaliste. Sa relecture de la musique du Nordeste est au moins aussi révolutionnaire que le traitement que fera subir João Gilberto à la samba pour donner naissance à la bossa nova une décennie plus tard.


Porté par les migrants nordestins qui accueillent ce style comme le leur, Luiz Gonzaga conquiert le cœur du Brésil tout entier. De 1946 à 1955, il est l’artiste qui vend le plus de disques dans le pays, avec près de 200 enregistrements et 30 millions de copies vendues! Son titre le plus emblématique de cette période est sans conteste Asa Branca. Ce morceau évoque l’oiseau du même nom qui quitte le sertão pendant la sécheresse, à l’image du Nordestin contraint de partir, mais qui promet à sa bien-aimée de revenir quand les temps seront meilleurs.


En 1950, Humberto Teixeira est élu député fédéral ce qui l’éloigne sans doute du milieu musical. Mais Luiz Gonzaga a rencontré Zé Dantas l’année précédente. Ce médecin pernambucano devient son partenaire privilégié pendant la décennie suivante. Fin connaisseur de sa région, musicien et parolier hors pair, il co-signe nombre des succès de Gonzaga dans les années 1950 tels Vem, morena, Sabiá, ou Xote das meninas. Cette époque marque l’âge d’or du forró, avec Jackson do Pandeiro, Marinês, Dominguinhos ou le Trio Nordestino qui marchent dans les pas du maître. Luiz Gonzaga connaîtra par la suite des périodes moins prospères, notamment dans les années 1960, sans doute un peu ringardisé par la bossa nova et la MPB. Il est cependant vite réhabilité par les tropicalistes, avant d’accéder au statut de monument national.


Le forró a depuis conquis le monde et la France en particulier. Aujourd’hui, les vieilles danses européennes, quadrille, schottische, qui sont à la base du forró, ont disparu de nos pistes de danses. Pourtant, il se tient en France des dizaines de bals forró ! Quelque part, derrière son exotisme, ce qui séduit tant les jeunes Français c’est peut être justement de pouvoir danser sans honte sur ces rythmes d’accordéon endiablés, finalement très familiers.

Boebis
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le 11 août 2021

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