Si "la musique est l'architecture du silence", comme l'a affirmé un certain Robert Fripp, alors celle des Fuzztones s'apparenterait au plus drôle et effrayant des cénotaphes en mémoire des gloires du garage rock sixties. J.D Blackfoot, Question Mark And The Mysterians, The Moving Sidewalks, Fallen Angels... A partir de 1965, le jeune américain Rudi Protrudi découvre le genre à travers ces noms aujourd'hui oubliés et lui voue un indéfectible culte. Décidant en 1980 de reconstruire les fondations du garage alors enfouies sous des gravats que le mouvement punk et la new-wave semblaient avoir pourtant enterré au fond de l'hypogée du rock, il abandonne l'ersatz des Monkeys qu'il tenait depuis quinze ans (Tina Peel) et fonde les Fuzztones. S'il est légitime que le précédent name-droping des acteurs du garage-rock n'ait probablement rien évoqué au dilettante, la réminiscence du nom des Sonics lui provoquera quant à elle une inévitable exaltation des tympans en guise de souvenir des inoubliables chansons du premier véritable groupe de garage rock. En 1965 sortait le classique Here Are The Sonics, pilier du genre et logiquement influence principale de Protrudi et ses acolytes.

C'est ainsi que, dans leur premier album constitué uniquement de reprises, Lysergic Emanations, deux titres des Sonics figurent dans la playlist : "Strychnine" et "Cinderella". Pouvant être apparentées à un film de série Z qui se serait transformé en chansons, les ambiances architecturales de Lysergic Emanations rappellent celles d'une cathédrale de style gothique aux traits volontairement trop caricaturaux pour être réellement effrayants. Et de ce point de vue, "Strychnine" serait la crypte de cette fondation : l'orgue comminatoire mais kitsch ajouté à la composition originale par Deb O'Nair lui permet de faire d'un édifice sympathique un véritable monument du genre. Pour les connaisseurs, "Strychnine", c'est Plan 9 from Outer Space, Virus Cannibale et la Nuit des Morts-Vivants en deux minutes trente. Il n'est en effet pas difficile d'imaginer des zombies, squelettes et autres vampires se mouver dessus en rythme, tel un "Thriller" rock'n'roll. "Cinderella" ne laisse pas indifférent non plus, avec son riff endiablé suivi par l'orgue, toujours présent, indispensable. Véritable pierre angulaire de l'album, il est cet ingrédient essentiel qui permet à certains d'artistes d'avoir ce que l'on appelle vulgairement "leur propre son". Le chanteur Rudi Protrudi est quant à lui la nef de la cathédrale Fuzztones, l'élément principal dont l'instrument vocal invoque les démons Ian Astbury ("Ward 81") et Iggy Pop ("Gotta Get Some") avec une classe toute Ed Woodienne.

Le terme "revival" sied à merveille à cet album puisqu'il rebâtit les fondations d'un garage rock à l'époque oublié, et ce d'une manière très attachante. Des reprises des Haunted (la ravissante "1-2-5"), des Calico Wall ("Living Sickness"), des Bold ("Gotta Get Some") ressort une identité également marquée par la maison Stooges et bien sûr le taudis organisé des Cramps, ces derniers étant l'autre grande figure de proue du revival. Mais les Fuzztones ont une identité très marquée, plus ironique, moins violente, plus entraînante, moins plombée. S'il est cependant une chose qui réunit les deux groupes, c'est leur originalité dans un paysage eighties qui se voit de plus en plus formaté. De ce point de vue, Lysergic Emanations est un formidable pied-de-nez à l'appauvrissement du rock mainstream des années 80.
BenoitBayl
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le 5 déc. 2013

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