Narrow
7.1
Narrow

Album de Soap&Skin (2012)

Voilà deux grands « petits » disques qui touchent par leur puissante singularité. On rapprochait récemment Crippled Black Phoenix et Joseph Arthur en ce qu’ils réussissaient, avec des armes différentes, un exercice difficile : celui du double-album. Il nous a semblé idoine de faire de même avec Soap&Skin (Narrow) et Lolito (s/t), dans la mesure où ces artistes sont parvenus, en une demi-heure à peine, à faire passer quelque chose d’important auprès de l’auditeur, et ce malgré une courte durée souvent incompatible avec l’immersion nécessaire pour apprécier totalement une œuvre.

L’autrichienne Anja Franziska Plaschg (aka Soap&Skin) a choisi en guise de fil rouge une forme de morgue lyrique que l’on devine largement inspirée par le décès de son père survenu il y a deux ans. Cela se traduit par une grande solennité, via l’utilisation d’instruments typiques du répertoire classique (piano, violoncelle, chant limpide). Ce sérieux de cathédrale sert parfaitement l’atmosphère sombre qui plane sur chacun de ses huit titres courts, si bien que l’on se sent interpellé par ces mélodies dérangées et dérangeantes. En tête de liste, la grande performance qu’est cette reprise du hit calibré « Voyage, Voyage » (Desireless). La pudeur et la douleur qui se dégagent de cette réinterprétation en font une chanson tout à fait nouvelle, qui s’intègre parfaitement dans l’ambiance mortifère de Narrow. Sacré coup de bluff. A l’écoute de cet album, on pense parfois à une Zola Jesus dépouillée de ses oripeaux pompeux, apaisée. A noter enfin, les teintes industrielles qu’arborent fièrement « Deathmental » et « Big Hand Nalls Down » qui apportent une couleur particulière aux compositions, par ailleurs traditionnelles, de Soap&Skin. C’est-à-dire qu’elles intègrent les instruments classiques dans une certaine contemporanéité, et renforcent par là-même la personnalité de son auteur, de ce fait difficilement classable. Narrow est un disque qui déroute, surprend, fascine.

Le combo français Lolito défend lui une grande diversité de styles, une diversité comme moteur principal de l’énergie, assurément le maître mot de ses six compositions racées. Lolito est d’humeur beaucoup plus volatile et décontractée que Soap&Skin. Il n’empêche que leur pop au Red Bull est diablement bien exécutée, sans temps mort, et qu’elle offre un éventail de styles redoutablement efficaces. Les français ont donc choisi l’éclectisme comme marque de fabrique, et cela aurait pu nuire à leur identité. Mais ils réussissent le petit exploit de ne jamais s’éparpiller : cela donne des morceaux aux sautes d’humeur incessantes, dans lesquels chaque instrument prend le contrôle à tour de rôle au gré d’émotions diverses. On passe ainsi d’une voix blanche à tendance punk à des arpèges de clavecin, en passant par des rythmes cha-cha et des riffs de guitare costauds. La personnalité du groupe se décline à travers cette effervescence touche-à-tout, grâce à laquelle chaque titre raconte une histoire musicale à part, bien loin du sacro-saint couplet-pont-refrain. En vingt petites minutes, le portrait est dressé : les Lolito sont des érudits rigolards qui mixent joyeusement des influences diamétralement opposées. Le résultat est réjouissant.

Narrow est un condensé de noirceur qui trouve donc son épanouissement dans son format « mini ». Plus long, l’album aurait pu provoquer la nausée tant les compositions sont pesantes et inconfortables. Autrement dit il n’existe que lorsque ses chansons sont écoutées les unes après les autres dans l’ordre convenu par Anja Franziska Plaschg, comme une seule et longue plage de musique. Lolito a construit au contraire six chansons très vivantes, intrinsèquement conceptuelles, dans lesquelles sont écrites quatre ou cinq petites pièces musicales reliées les unes aux autres par un fil invisible. Mais malgré ces différences, un point commun : l’unité. Unité dans la continuité, unité dans la diversité, dans les deux cas on est face à de jeunes artistes très talentueux, uniques en leur(s) genre(s).

Francois-Corda
8
Écrit par

Créée

le 2 janv. 2019

Modifiée

le 14 juin 2024

Critique lue 71 fois

François Lam

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