La griffe du maître
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Plein de cette obscurité suffocante, je descends au cœur des Enfers, comme ces héros des épopées grecque, mais sans aucune gloire ni espérance, car je n'ai pour seul réconfort que le goût de la cendre qui inonde ma bouche, et l'odeur du trépas qui palpite dans mes veines. En chute lente vers le royaume des morts, je me fracasse aux parois obsidiennes de l'outre-tombe. Mes plaies s'ouvrent et se ferment tandis que croit le chaos et que dévorent les flammes noires du sanctuaire d'Hadès. Désormais, rien n'importe, sinon l'éternel destruction de la chair. Le retour à la non existence.
De bien funestes messagers à l'incoercible noirceur humaine, ces lombards de Fuoco Fatuo. Un feu follet qui gronde sourdement, fasciné par l'abîme, tentant de nouer avec le monde des trépanés, d'en invoquer sa cohorte de pâles esprits. Pas de satanisme primitif ici (si ce n'est l'ombre du bouc sur la pochette), mais plutôt une introspection vers la finitude du vivant et la toute-puissance du mourant.
Dans ce troisième album, Fuoco Fatuo coagule la symbolique religieuse de la catabase (la descente aux enfers de l'esprit) avec celle, non moins vertigineuse, de cette pierre vitreuse qu'est l'obsidienne, symbole de mort (ou de mort-vie) depuis les embaumements ritualistes de l’Égypte antique. Dans une musique qui tire plus sur la nécromancie que sur l'initiation chamanique, Fuoco Fatuo joue avec les peurs, les espoirs et la patience.
Structuré en trois monolithes siliceux d'environs 15 minutes, qu'entrecoupent des intermèdes peu reposants (I, II, III), les sbires du mal nous plongent dans la plus grande tradition du funeral doom metal, à savoir un univers lent comme l'agonie, grave comme la verve de Satan, sombre comme le néant. Le style a quelque chose d'aussi vertigineusement puissant qu'exténuant. C'est froid, désolé, sans aucune issue possible pour le salut de l'âme. Du début à la fin, on clapote au fond d'un insondable puit de douleurs.
Si ces "remparts d'obsidienne" effrayeront les timorés de noirceur, ils ravirons les passionnés du genre. Les mélodies et l'interprétation peuvent paraître anecdotiques (en un sens, elles le sont), car c'est surtout dans la progression de ses titres que Fuoco Fatuo étonne. Là où un Evoken ou un Esoteric ont longtemps été linéaires dans la construction de leurs chef d'œuvres, Fuoco n'hésite pas à étoffer ses lamentations cordées de synthés sépulcraux, de blast-beats affolants, de cris glaçants. Le premier titre éponyme est le plus sage, alors que le second tiers de l'album délivre peu à peu son intérêt,. Une empreinte presque black metal plane sur ces échos nihilistes ... et quand résonne le growl, on se tait, on s'affaisse.
Sans créer le moindre schisme dans l'univers bien établi du funeral doom, Obsidian Bulwark reste un saisissant tableau du magma destructeur qui se fige. En préférant le sinistre au romantisme gothique, Fuoco Fatuo rejoint les quelques goules égarées dans les méandres d'un temps comme figé pour l'éternité. Mort à jamais.
Créée
le 28 mai 2021
Critique lue 24 fois
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