Pixinguinha
Pixinguinha

Album de Pixinguinha (2002)

(originellement publié sur mon site http://la-musique-bresilienne.fr )


Si vous avez quinze tomes pour parler de la musique brésilienne, c’est certain que c’est peu. Mais si vous disposez à peine de l’espace d’un mot alors, alors tout n’est pas perdu: Écrivez vite: Pixinguinha“. Cette phrase d’Ary Vasconcelos est citée partout mais est si bien tournée qu’on ne peux m’empêcher de la reprendre pour évoquer le plus grand génie de la musique brésilienne et en particulier du choro.


Le choro résulte de l’appropriation brésilienne des musiques de danse européennes : mazurka, valse, scottish et surtout polka. Quand Pixinguinha naît à Rio de Janeiro en 1897, le choro existe depuis déjà plusieurs décennies, porté par des compositeurs tels qu’Ernesto Nazareth ou Chiquinha Gonzaga. L’empreinte de Pixinguinha sur le choro est pourtant si marquante que la date de la Journée nationale du choro a été choisie en hommage au jour de sa naissance. C’est que Pixinguinha a plus que révolutionné le choro, il l’a réinventé. Premier chambardement, quand jeune adolescent, il promène sa flûte dans les rodas de choro, ébouriffant de fraicheur et d’insouciance au milieu de ses ainés. Une époque où il sèche les cours du sévère collège São Bento pour jouer partout où il est le bienvenue. Il se lie avec Donga, João da Baiana et João Pernambuco avec lesquels il écrira certaines des plus belles pages de la musique brésilienne.


On le retrouve aussi chez la Tia Ciata. Cette célèbre “mère de saint” du candomblé afro-brésilien organise de grandes fêtes dans sa maison située dans le quartier dit de la “Petite-Afrique” où se concentrent alors les Noirs et Métisses récemment arrivés de Bahia. Un lieu unique où étaient joués batuque et samba naissante portés par les percussions dans la cour, et choro avec les instruments à cordes et à vent dans le salon. Une des grandes innovations de Pixinguinha est justement de rapprocher le choro de la samba. Alors que l’orchestre de choro est habituellement composé de cavaquinho, flûte traversière et guitare parfois complété par clarinette et mandoline, il y ajoute les percussions, reco-reco, pandeiro et ganzá.


Pixinguinha enregistre rapidement ses premières compositions dont certaines deviennent des succès de carnaval. En 1918, il est appelé avec Donga pour jouer dans la salle d’attente du très chic cinéma Palais. Ils forment pour l’occasion un nouveau groupe, les Oito Batutas composé outre de Pixinguinha à la flûte, de Donga et Raul Palmieri à la guitare, China au chant, guitare et piano, Nelson Alves au cavaquinho ,José Alves à la mandoline et au ganzá, Luis de Oliveira au bandola et au reco-reco et Jacob Palmieri au pandeiro. Le groupe interprète les premières grandes compositions de Pixinguinha âgé d’à peine 20 ans. Il tourne dans tout le Brésil et enregistre de nombreux 78 tours où s’affirme le style novateur des Batutas qui outre le choro intègre samba, maxixe, lundu, batuque et embolada. Les Oito Batutas sont même invités en 1921 à jouer un mois à Paris. Le premier groupe brésilien avec des Noirs et métisses à jouer hors du Brésil! Les Parisiens qui découvrent à la même époque le jazz ne se trompent pas et accueillent comme il faut le groupe qui reste finalement plus de huit mois. A Paris, les Batutas incorporent certains éléments du jazz : Pixinguinha se met au saxophone, Donga troque sa guitare contre un banjo et ils rapportent trombone et trompette.


Le plus grand musicien français d’avant-guerre, Django Reinhardt, interprètera quelques années plus tard Carinhoso, le plus grand succès de Pixinguinha. Cette affinité musicale ne doit rien au hasard tant c’est la même sensation de liberté, de finesse et d’invention qui parcourt l’œuvre de ces deux immenses musiciens. Mais plus que Django, s’il fallait trouver un équivalent étranger à Pixinguinha, il s’agirait plutôt de Duke Ellington. Car avant d’être un grand instrumentiste, il est un grand compositeur et chef d’orchestre. C’est d’ailleurs comme arrangeur et chef d’orchestre qu’il est à l’origine d’une nouvelle révolution dans les années 1930.


A l’époque, la samba est en plein essor. Elle conquiert le cœur des classes moyennes portée par la la radio et une nouvelle génération d’interprètes tels que Mário Reis ou Francisco Alves. Cette samba urbaine se joue accompagnée par des orchestres, mais les arrangeurs de l’époque, presque tous européens, ne comprennent pas grand-chose à cette drôle de musique syncopée. Le label RCA Victor recrute donc Pixinguinha qui est alors un des rares musiciens, à avoir une connaissance intime de la musique populaire brésilienne tout en étant capable de diriger un orchestre et d’écrire des arrangements. Selon Sergio Cabral, ce poste fait de Pixinguinha, rien que moins que l’inventeur de l’arrangement musical brésilien. Il est comparable à certains égards à l’autre monument de la musique brésilienne, Heitor-Villa Lobos, le compositeur brésilien de musique classique qui s’est le plus nourri de musique populaire. Pixinguinha a su faire au moins aussi magistralement le chemin inverse. D’ailleurs en 1940, quand le fameux chef d’orchestre Leopold Stokowsky demande à Villa-Lobos de lui présenter des musiciens brésiliens à faire découvrir aux États-Unis, il pense aussitôt Pixinguinha ainsi qu’à, Cartola, Donga, João da Baiana et quelques autres., pour enregistrer ce qui allait devenir l’anthologie historique, Native Brazilian music.


pixinguinha


Les années 1940 marquent pour Pixinguinha son passage de la flûte au saxophone. Ce changement d’instrument s’expliquerait par son abus d’alcool qui lui interdit de jouer de la flûte. Le saxophone est à l’époque une hérésie pour nombre de puristes du choro qui voient d’un mauvais oeil cet instrument de jazz ! C’est pourtant au saxo qu’il enregistre de merveilleux 78 tours durant cette décennie ; des enregistrements où le thème est joué par le flûtiste Benedito Lacerda, avec le saxophone de Pixinguinha en contrepoint. Pixinguinha reste actif durant les décennies suivantes. Dans les années 1950, il s’illustre aux côtés de la Velha Guarda avec Almirante. Dans les années 1960 en période bossa nova, il compose la musique du film Sol sobre a Lama avec Vinícius de Moraes puis enfin lors du revival de la samba, il enregistre un album testament avec deux autres anciens, João da Baiana et Clementina de Jesus (Gente da antigua).


Depuis son décès en 1973, il n’a pas dû s’écouler une année sans qu’une de ses compositions ne soient enregistrées tant son œuvre est devenue une référence incontournable, sans cesse redécouverte et toujours revisitée par chaque nouvelle génération de musiciens.

Boebis
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le 11 août 2021

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