La dépression est un sentiment qui colle plutôt bien avec la musique. De nombreux artistes ont construit leur carrière sur leur mélancolie, trouvant dans leur art un exutoire pour adoucir leur douleur. Beaucoup d'entre eux n'hésitent pas à dire que c'est ce pessimisme qui leur permet d'écrire, de composer et d'exprimer leurs émotions avec tant de justesse et d'authenticité. La frontière entre la réalité et la musique est pafois friable, et certains n'ont pas su suffisament se protéger pour ne pas sombrer complètement dans la noirceur. Jusqu'à ce que ça leur soit fatale. Ian Curtis, le chanteur du groupe Joy Division, suicidé à seulement 23 ans est le symbole de ces artistes à fleur de peau au pessimisme exacerbé. Marquant une discographie et un courant entiers de ses chants et positions tous plus noirs les uns que les autres.

Membre le plus connu du groupe marseillais Psy 4 De La Rime, et après deux albums avec ses trois compères, Soprano lance son premier album solo en février 2007. Avec comme thème principal, la mélancolie. Artiste le plus en vue et le plus éminent du quatuor, l'attente autour de cet album était plutôt importante. Entre Vincenzo et Alonzo, les deux autres MCs, Soprano est le plus sensible mais aussi le plus doué, étant tout de même attaché à sa condition de jeune issu des quartiers sensibles, mais éloigné des manières de mauvais garçons de ses collègues.

Avec son caractère, un album personnel est donc attendu et la question est de savoir s'il va rester dans la direction des albums de la Psy 4 ou au contraire chercher à changer son discours. Soprano cherche alors à instaurer une sorte de "concept" à son premier album. Ainsi sur la pochette et dans certaines pistes, le marseillais se retrouve dans le bureau d'une psychologue afin de parler de lui, de ses craintes, de ses problèmes. A noter que c'est la journaliste Pascale Clark qui donne la réplique au rappeur, après avoir fait de même sur l'album Le Face à Face des Coeurs d'Abd Al Malik en 2004. Ajouté au monde déjà pas très joyeux de la psychanalyse, se rajoute celui de la mélancolie, sentiment dont semble souffrir Soprano au quotidien. Sans compter le choix lourd et caricatural du titre de l'album, "Puisqu'Il Faut Vivre", au cas où le public n'avait pas encore compris qu'il allait s'agir de pessimisme.

L'idée aurait pu fonctionner et faire mouche si chacun des 17 titres n'étaient pas aussi pesant et exaspérant dans le fond comme dans la forme. L'un des reproches fait au rap français est souvent celui du misérabilisme poussé à son paroxysme et d'artistes sachant certes bien écrire, mais étant juste bons à se plaindre. Puisqu'Il Faut Vivre est rempli à ras bord de ce sentiment. Celui d'un rappeur qui, il est certain, part avec les meilleures intentions du monde, et souhaite vraiment dire ce qu'il a sur le coeur, mais qui tombe dans la faute à ne pas commettre : celle du donneur de leçon.

Bien que le discours du marseillais tout au long de l'album soit moins appuyé et jusqu'au-bout-iste que celui d'un Kery James -celui d'un rappeur ayant trouvé la foi et croyant être le messi du rap français alors qu'il n'est que le donneur de leçon que personne ne veut plus entendre- le message de Soprano dérange par son côté pathétique. Avec 1h10, son album est déjà assez long, et peut aller jusqu'à dégoûter l'auditeur. La mélancolie, thème principal de l'album, serait l'arbre qui cache la forêt. Une forêt faite de bons sentiments, de remords inexpliquables et d'un discours religieux parfois à la limite du supportable.

Un autre reproche qui est fait au rap français, est celui d'être trop nombriliste, de ne parler que de lui, et de la condition facheuse de ses acteurs. Même si parfois c'est le cas, la plupart du temps, cela permet de rester concentré sur des points précis afin d'en tirer un message qui peut toucher un plus gand nombre. Puisqu'Il Faut Vivre réussit le paris de parler des deux façons, mais d'une manière encore une fois faussée. Si Soprano parle beaucoup de lui, de son ressenti pour son entourage, sa vie, ses idées, il ne peut s'empêcher de parler de choses connues de tous, et de défoncer, par la même occasion, des portes ouvertes. Le conflit israelo-palestinien, Auschwitz, la faim dans le monde, sont autant de thèmes que le rappeur aborde entre deux rimes, histoire de continuer à plomber l'ambiance. Certes ces situations sont horribles et ne doivent pas être oubliées, mais leur énonciation entre la pomme et la poire ne font qu'augmenter le sentiment misérabiliste de l'album. Donnant l'impression que Soprano souhaite que son public se sente coupable.

Un titre comme "Bombe humaine" devient vite insupportable, lorsque le marseillais évoque la faim dans le monde et fait le rapprochement sur le fait que des personnes sont venues le voir jouer sur scène, bien au chaud dans leur confort. A ce moment là, Soprano n'attire pas la pitié, mais bien le mépris. S'il ne souhaite pas que les gens viennent le voir en concert, qu'il ne sorte pas d'album. Cette situation est de tout façon une impasse. "Ferme les yeux et imagine toi" avec Blacko de Sniper dégage la même impression. Les inégalités dans le monde sont citées les unes après les autres, sans qu'une parole ne fasse vraiment mouche ou ne parle pas de choses connues de tout le monde.

Et c'est bien le problème. Soprano avec son premier album, semble vouloir dénoncer des choses, qui semblent être au plus profond de lui. Le soucis c'est qu'à aucun moment, il n'est transgressif envers le système. Transformant chacune de ses rimes en banalités continuellement rabâchées par les chanteurs de variété aimés de tous et invités partout car ne faisant jamais de plis. Pour un album de rap, inutile de dire que c'est problématique. Le temps du "Son des bandits" avec son groupe Psy 4 De La Rime semble bien révolu. Puisqu'Il Faut Vivre est symptomatique du rap français post-2000. Un rap grand public qui ne fait pas de vagues, est plutôt propre sur lui, persuadé que s'il dénonce quelques faits par-ci par-là, il restera subversif.

Ce qu'il n'est pas. Et ce jusque dans l'habillage musical. C'est à se demander si les beatmakers français ne sont pas encore bloqués une dizaine d'années en arrière. Produits par l'équipe Street Skillz, Les 17 titres ne lâchent un instant le duo piano/violon qui commençait déjà à être redondant en 1998. Seuls les deux singles principaux de l'album, "Halla halla" et "A la bien" sortent un peu du lot tout en étant là uniquement pour garantir des hits à l'album. Autre preuve que Soprano n'a pas osé de choses sur cet album. Ces deux titres sont les premiers singles extraits de son solo. Soit les plus dansants, et les plus différents du thème principal qu'est la mélancolie. Au moins Soprano ne prend pas la tête à l'auditeur durant ces deux morceaux. Ils trahisent d'ailleurs le rajout du schéma classique d'un album de rap français et de ses morceaux clichés. Rien que "Juste fais le" avec Le Rat Luciano de la FF est un clone de nombreux morceaux déjà présents sur les artistes du circuit.

Le résultat de ce premier solo est frustrant venant de Soprano, surtout que son écriture est loin d'être mauvaise. Elle est même plutôt bonne et réussie à de nombreux moments, montrant le talent de son auteur. Dommage qu'il se perde tellement dans des rouages pareils et exaspérant. "La famille" avec Léa Castel -sa protégée mais qui a quand même disparue des radars peu de temps après- pouvait être bien dans sa démarche ; celle d'un frère et d'une soeur chantant à l'unisson pour le bien de la famille. Seulement le tout est plombé par les allusions à Dieu, à la Mecque, ou encore aux quartiers Nord. Pareil pour "Tant que dieu". Exprimer sa foi ou son appartenance à son quartier n'est pas interdit, loin de là, ce sont des thèmes récurrents dans le rap français. Seulement, cela donne l'impression que Puisqu'Il Faut Vivre ne parle pas tellement au grand public, malgré ses productions et ses thèmes, et qu'il est même plutôt centré sur lui même. Comme si le public hors Marseille, hors les quartiers Nord ou même les personnes pas forcément pessimistes de base étaient écartées progressivement.

Certes ce premier essai est plutôt personnel, puisque son auteur évoque des thèmes importants comme son fils qu'il n'a jamais connu ("Mélancolique anonyme", "Parle-moi"), ses idées noires ("Dans ma tête") mais très rarement touchant. L'impression désagréable que Soprano souhaite faire changer le mode de vie de chacun et le faisant culpabiliser devient vite irritant. Cet album n'arrive pas à convaincre son auditoire, à le toucher, dommage car il y avait matière à ce que ça marche. Alors puisqu'il faut vivre, mieux vaut ne pas écouter cet album.
Stijl
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le 8 juin 2014

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