Quelque part
7.7
Quelque part

Album de Mendelson (2000)

L’inconfort préférable à l’immobilité

Du temps a passé, et Pascal Bouaziz est désormais adulte : l'humour déjà mordant de noirceur de L'Avenir est devant est maintenant désespéré, du fond d'un première gouffre : quelque part, c'est-à-dire aussi bien nulle part que partout, à l'image de la pochette brouillonne, dans laquelle rien n'accroche le regard autrement que l'ensemble : c'est quelque chose qui s'inscrit dans un "brouillard précis", un espace connu et pourtant retrouvable à des milliers d'endroits différents : c'est chez soi, c'est très banal, ce sont - comme l'annonce si bien le premier titre - les voies de garage perdues dans le brouillard, les tours fantômes, les terrains vagues.


Et là où avant on avait beaucoup de lumière, on écope maintenant de lâcheté et de mensonge dans un discours : on s'inscrit donc forcément plus profondément dans le rapport à l'autre plutôt que simplement le rapport à soi-même.



Je mens tout le temps



Et forcément les rapports dépeints sont toujours pessimistes : on retourne à ce regard porté partout de L'Avenir est Devant, mais il ne porte plus un vide mais plutôt du désespoir, que ce soit dans les rêves tous semblables à des cauchemars, les souvenirs prêtés à des gens croisés sans les connaitre vraiment : on observe la faiblesse d'un vieil homme, ses collègues de travail (dans un Pinto admirable de détresse), et ses couples ratés.


Les gens prétextent l'erreur, de s'être trompé ; ou ils mentent sur l'absence d'autres gens, sur les inconnus qu'on veut trouver mieux, plus intelligents ou beaux, plus proches de soi.


Et de là on se dilapide dans la peur et la fatuité, sans rien oser : on stagne, on ressent son aridité, son impuissance infinie qui se fait toujours plus étouffante et pressante, ligote toujours plus proche.
C'est (pour moi le sommet du disque) Monsieur qui captera le mieux toute l'incongruité de telles situations, on ne va "pas beaucoup plus loin", on croit faire le nécessaire (ou on se force à le croire), on détourne les regards qu'on voudrait lucide pour s'ignorer, ignorer en quelques mots terribles :



Et tu t’énerves de ce qu’il te dit, penses tu n’aimerais pas être à ta place ;
que c’est quand même un peu ta faute, quand on y pense tout est là :
Il se permettrait pas avec un autre
ce qu’il se permet avec toi, que si seulement il avait pu, mais monsieur n’a rien répondu.



Et plus la déchéance va, plus elle est bornée à continuer : Bouaziz refuse tout destin - autre que l'oubli de soi, donc une non-existence - à ce Monsieur qui finira par resservir à une autre "chanson" de Mendelson, encore plus terrible - mais j'y viendrai, quand le cœur sera à faire un nouveau billet -, Les Heures et ces plus-de-50-minutes d'effondrement sans précédent.



De la redondance ou de la dissonance



Pour être capable de verser dans ces nouvelles thématiques - bien moins naïves - il faudra fournir bien entendu un nouvel enrobage : les ritournelles de deux minutes ne suffisent plus : on gagne en longueur, en ampleur, en densité après le diaphane.


Et l'on verse dans deux aspects complémentaires : ce qui sonne bien sonne répétitif, et ce qui n'est pas répétitif sonne faux : c'est un des nombreux constats amers du registre sonore proposé ("C'est une vie tranquille et sans problème", dit encore Bouaziz avant que le violon jusque là doux s'emporte et crisse), tous les bois étouffent, tous les cuivres partent librement, tandis que la contrebasse ressasse des boucles courtes, et que le ton reste dans son inertie, ton presque inchangé sur une chanson, si ce n'est que pour marquer davantage quelques piques et pointes textuelles.


Et quand on voudrait croire au "tranquille", on revient plus acharné, plus bruité encore, plus saturé - les fresques de vie n'en sont que plus remuées, (ça m'évoque l'album du même nom de Dominique A d'ailleurs sur certains de ses morceaux) et donnent un genre de réalisme crasse, sale, dépeuplé de la lueur qui résidait sur L'Avenir...


On s'accrochera pourtant quand même à Katherine Hepburn alors, puisqu'on peut encore trouver des choses attachantes, et l'imagination alors, l'Espoir quand même existent - on veut pouvoir y croire - tandis que les guitares s'illuminent, les confiances percent, et surtout il y a toujours d'autres, plein d'autres (on gardera les regrets - sublimés par cette espèce d'ironie douce et charmante qu'on gagne avec le temps, et le fait qu'on restera redevable pour certaines choses connues alors), et les choses vivent sans soi (je lis - je surinterprète peut-être - comme les prémices à "Sans toi" dans ce morceau).


La route parcourue en l'espace d'un album est énorme : Mendelson a déjà vécu, et sait tenir compte de ce vécu pour que l'entité en ressorte plus propre, aussi bien martelée de ces racines qu'on ne tranchera jamais que frappé des nouvelles expériences. Et Mendelson vivra encore bien longtemps.

Rainure
8
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes La Galaxie Diabologum et Contre le marasme musical, rien ne vaut de bons éclaireurs !

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le 6 févr. 2017

Critique lue 204 fois

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Rainure

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