A pas étouffés
Du Post Rock alambiqué et élégant. Si le propos peut effrayer, l’album ne peut que charmer.
Après leur magnifique premier effort éponyme en 2013, les parisiens de Oiseaux-Tempête nous reviennent en ce début d’année, et livrent avec "Ütopiya ?" leur déferlante de guitare et leurs structures à tiroirs difficilement apprivoisables à la première écoute.
D’ailleurs, Post-Rock, en est-ce vraiment ? L’étiquette sied peu au groupe, qui prouve qu’il sait s’envoler vers de plus grands horizons.
Multiples recours à des riffs bouclés qui dérivent petit à petit en déchaînement psychédélique sur Somewhere Must Shout That we will build the Pyramids et Soudain le ciel, choristes, motifs arabisant sur Yallah Karga, structure minimaliste envoutante basée sur une boucle de piano sur Fortune Teller, et une présence quasi-constante de clarinette étouffée font lorgner tour à tour leur musique d’un côté vers une urgence presque punk, de l’autre vers un free-jazz débridé.
L’étouffement est d’ailleurs récursif tout du long de la bête : dès l’ouverture, la batterie semble sourde, distante, et ne cingle qu’à grands coups de cymbales, comme tranche les guitares au travers du vent (l’instrument).
Cependant, il n’est pas thème de l’album. S’il faut retenir un thème à l’album, bien plus qu’un étranglement du son, c’est le voyage qui reste l’attraction ici.
Vous reprendrez un peu d'Istanbul ?
Attraction désastre, certes, tant les paysages peuvent être mornes, désolés, à l’image du paquebot échoué d’une pochette d’un classique noir et blanc, où seul peut se déchiffrer un « No Smoking » désormais sans valeur.
Mais attraction tout de même, les enregistrements sur le terrain de la Sicile et de la Turquie viennent enivrer l’auditeur, perdu entre chiens peu accueillant, muezzins, discours inquiétants avant de trinquer au monde qui passe, au voyage qui vient de se dérouler devant les yeux.
Cependant, ce n’est pas tout à fait terminé. Reste alors la monstrueuse Palindrome Series, enregistrement live mastodonte de plus de 20 minutes qui n’est pas sans rappeler la répétitivité abrutissante et captivante de Swans par ses recours à une saturation toujours plus intense et violente.
Et comment parler de l’album sans évoquer Ütopiya/On Living ?
Seul morceau vraiment « chanté » du tout, il parvient en moins de 6 minutes à faire exploser un riff calme en véritable déflagration sonore maitrisée, le tout sur un poème de Nazim Hikmet, assurément un des meilleurs morceaux de l’année pour les fans de spoken-word.
This earth will grow cold one day,
Not like a block of ice
Or a dead cloud even
But like an empty walnut it will roll along
In pitch-black space…
Décidément, tandis que Godspeed échoue à sortir en studio un Behemoth convainquant, bravant la tempête, ces Oiseaux-là sont d’excellente augure.