Il est toujours intéressant de revenir sur les étapes de la carrière d'un grand nom de l'industrie musicale. Particulièrement pour un auteur aussi éclectique que Mark Ronson. Les multiples métamorphoses formant son parcours font que nous avons encore aujourd'hui quelques difficultés à le situer précisément : doit-il être rapidement relégué au tout-à-l'égoût de la musique dite commerciale ? A-t-il au contraire suffisamment d'intérêt pour mériter l'oreille (ou la condescendance) des critiques musicales ?
"Record Collection" est le troisième album du producteur, DJ et musicien britannique. Il est accompagné sur cet opus par "The Business International", collectif de musiciens l'ayant déjà suivi sur nombre de ses projets et notamment son prédécesseur, "Version". Ce dernier se présentait comme une collection de reprises de tubes pop réarrangés à la sauce soul/funk. Mark Ronson n'a jamais caché son intérêt pour la musique noire américaine. Il lorgnait déjà du côté du hip-hop dès son premier album. Ce millésime 2010 va donc se présenter comme la suite logique d'un artiste au carrefour des genres.
La réincarnation actuelle, comme semble nous indiquer la pochette, semble se trouver du côté d'un amalgame de références. Nous pourrions prendre peur et penser que cet étalage de culture n'est qu'un prétexte à la redite. Mais Ronson ne cherche pas à imiter. C'est un inventeur. Tout le monde connaît les ingrédients, encore faut-il savoir comment les utiliser à bon escient. Là où le passé avait un goût de seventies, le présent lorgne du côté des eighties, invitant les ténors du genre pour se donner une crédibilité, tout en mettant à jour les synthétiseurs. Bien que figurent nombre de grands noms de la décennie, aucun d'entre eux ne semble pour autant replacé dans son époque. Simon Le Bon est bien sage et ne rejoue pas les envolées de Duran Duran. Boy George est touchant dans la simplicité de ses sentiments ("I want somebody to be nice. See the boy I once was in my eyes"). Doit-on interpréter ce parti pris comme la preuve que Mark Ronson est définitivement dévoué à construire son époque plutôt que de lorgner sur un passé révolu ? J'aime à le penser.
En 2023, ses productions arrivent à avoir simultanément une fraîcheur bienvenue et un léger goût désuet. Est-ce parce qu'ils nous rappellent un temps où il était encore possible de se divertir sans avoir à l'esprit les nombreux problèmes de notre époque ? Les ennuis liés au capitalisme, l'écologie et le sexe ne semblent pas présents ou alors sont omis pour laisser place à des bluettes. Ces dernières sont pourtant loin d'être éphémères : "Record Collection" révèle son véritable intérêt lorsqu'on se surprend à y revenir régulièrement. Ronson a cette qualité inhérente aux vrais nostalgiques, ceux dont l'amour du passé est si fort qu'ils finissent par modifier ce dernier, extraire la substance historique pour la réactualiser. Suffisamment pour que l'hommage cesse d'être un hommage et devienne un style à part entière.
Dès lors, Ronson n'est plus un simple propriétaire de références. Il forme son propre univers, un monde cohérent puisqu'il est solidement appuyé dans une fine connaissance de ses ascendants. La prochaine étape sera-t-elle celle de la transcendance, lorsque les traces du passé deviennent si peu décelables que l'on ne peut que constater la victoire de l'apprenti, devenu le maître ? Réponse au prochain épisode.