Décibelles est un groupe formé en 2006 et originaire de Lyon. Il a connu quelques changements de formations au cours de son activité, mais il s'est historiquement bâti autour de Sabrina (guitare) et Fanny (batterie). Le dernier line-up est complété par Guillaume (basse) depuis 2017. En 13 années, l'orchestre a produit une petite flopée de sorties "mineures" (EP, split, singles...) et 3 albums, Rock Français étant le petit dernier. Initialement peut-être plus proches des scènes punk-rock DIY francophones, le trio a parcouru un bout de chemin et a constamment évolué, tant musicalement (pour s'en convaincre, jeter une oreille successivement à Pedro Jocko, Sleep Sleep et Rock français) que professionnellement. En effet, Décibelles reconnait volontiers d'une part que la musique est désormais leur métier (#intermittence), et que d'autre part elles n'ont jamais réussi à s'imposer (ou jamais été vraiment acceptées) sur le circuit punk français par le passé. En témoignent le succès rencontré à l'étranger (notamment en tant qu'headliners en Allemagne, en support avec les Beatsteaks, ou encore avec Shellac en France) et le quasi anonymat auquel le groupe se heurtait dans l'héxagone.
La sortie de Rock Français se fait donc symbole d'une nouvelle ère, et surtout des prémices d'une stabilisation (extra-)musicale pour le groupe. Il s'inscrit facilement dans la continuité de Tight mais rompt radicalement avec les sorties antérieures. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'aucune autre composition hors de ces deux albums ne subsiste sur les setlists live actuelles.
Des choix forts et neufs sont faits sur ce nouvel opus. On chante intégralement en Français, le son est plus brut, plus clair (pas de distorsions trop grasses - ou du moins pas autant que sur d'autres productions précédentes), les voix prennent de la place, la basse de même. Les 10 titres laissent une impression de "quitte ou double" totalement cherché et assumé, que ce soit techniquement (on cache pas les petits pains derrière 4 couches de disto, le public francophone comprend totalement les textes, etc.) que dans dans le ressenti chez l'auditeur.rice. Le mélange donne un rendu très particulier, propre au trio et finalement peu comparable à des références du genre. Le tout est très bien maîtrisé, la propreté de l'ensemble est vraiment saisissante en concert.
C'est justement après avoir vu sur scène Décibelles que j'ai pleinement pris conscience du sérieux de cet album. La prestation scénique fournie est très proche du contenu studio, ce qui constitue pour moi encore une preuve de la sincérité et de l’exigence des choix musicaux développés autour de Rock Français. Et évidemment, c'est là où le choix d'enregistrer et mixer le disque chez Steve Albini est à nouveau pertinent. Même si on peut parfois parler de "style Albini" dans ses travaux, il apparait surtout que c'est quelqu’un d'assez "neutre" dans ses choix. Les prises sont faites en live (tout le monde joue en même temps, on ne multiplie pas les prises séparées pour enrichir "artificiellement" le son), le groupe arrive avec ses propres choix musicaux. C'est un "faiseur" avant d'être un "producteur". Et voir Décibelles bosser avec cette personne est, au-delà d'une fierté que tout musicien curieux du personnage aurait, une décision totalement cohérente. C'est même franchement bluffant de voir le trio autant déterminé, à enchaîner les dates en 2018 (dans une certaine précarité financière et artistique), composer 10 titres au milieu de tout ça, partir l'hiver qui suit à Chicago et claquer ce qui reste des économies à payer un des techniciens les plus réputés du milieu, pour enfin se lancer l'année qui suit dans un autre tour marathon, démissionner d'un CDI pour celles/celui qui en avait encore un, avec enfin pour objectif la validation du statut d’intermittent.e.s fin 2019.
Je suis admiratif devant une telle démarche, et le disque me le rend bien. Chaque titre - sans exception - me touche profondément. Même ceux qui m'avaient dérouté dans les premières écoutes sont tranquillement rentrés dans le rang des titres qui font la qualité du LP (typiquement J'aime trop mon clito avec son duo batterie/voix très "cheerleader", et Dimanche avec sa ligne basse en montagne russe et sa rythmique chant). Noyée dans l'océan me fout des frissons, Manger son ex est le tube de l'année, Je suis seule est certainement la meilleure chanson que le groupe n'ait jamais écrit, bref, il ne s'est pas passé une semaine depuis la sortie de l'album sans que je ne l'écoute. J'ai rarement autant aimé instantanément un disque, et je ne peux pas m'empêcher de le faire écouter à tout le monde.
En finalité, Rock Français propulse Décibelles à un rôle sérieux sur la scène indé. C'est à mes yeux un des groupes phares de l'année. Le trio a de quoi venir jouer des coudes à la table foisonnante des nouvelles têtes d'affiche francophones, déjà bien remplie entre les Johnny Mafia, les Lysistrata et les It It Anita. Les passages dans les gros fests du genre Rock en Seine vont (je l'espère) se multiplier, les belles affiches aussi, et je souhaite sincèrement au groupe d'avoir sa part de gloire et de réussite dans cette scène, surtout après toutes ces années de galères et de transitions. J'aime ce groupe, il mérite mieux que ce qu'il a connu jusqu'à présent, en particulier beaucoup plus de visibilité, et je hurlerai à qui veut bien l'entendre que c'est le meilleur groupe du monde.
Sources :
-Live à Metz, aux Trinitaires, du 14/06/2019 avec Tequilla Savate y su hijo bastardo, Movie Star Junkies et Maria Violenza
-Interview chez Télérama
-Interview dans New Noise Août 2019.