Après trois ans de discussions sur la direction à donner au catholicisme, le concile dit de Vatican II prit fin le 8 décembre 1965. Parmi les mesures destinées à rénover l'Eglise et à la réinscrire dans l'histoire par un autre biais que l'action politique, il fut décidé d'adopter la langue véhiculaire de chaque pays pour la messe, en lieu et place du latin. Le projet latin, celui d'une langue universelle pour une religion universelle, prit donc fin cet hiver là.


Les Eglises nationales, et en particulier l'Eglise de France étaient à l'époque engluées dans les restes des combats hérités du début du siècle, celui des "deux Frances" et de l'école libre, dernières convulsions d'un grand mouvement initié par Maurras et dont on a peine à imaginer l'ampleur aujourd'hui. Plus précisément, l'église était secouée face à la contestation intérieure des prêtres ouvriers et des chrétiens de gauche, voulant annoncer le Christ dans les cités ouvrières où les bonnes gens ne mettaient plus les pieds depuis longtemps.


Aussi, lorsqu'il fallut mettre à la poubelle tout le corpus soigneusement établi des chants liturgiques en latin pour les remplacer par des chants locaux, les candidats ne se pressèrent pas au portillon. Étonnant, quand on sait ce que ce que notre culture musicale occidentale doit à sa racine spirituelle. Toute la musique baroque et une grande partie du corpus classique s'est formé sous la protection et le soutien de l'Eglise : les plus grands morceaux, ceux qui ont irrigué toute la création musicale jusqu'aux jazzmen contemporains (qui puisent généreusement dans Bach entre autres) sont des commandes de musique sacrée.


Malgré ce formidable outil de propagande, le virage du chant liturgique a été raté par l'Eglise, et qui en a fréquenté se souvient de ces carnets de chants à la reliure bordeaux, remplie de cantiques oubliables et de comptines niaise pour dévotes. Un trésor d'héritage se trouvait là, a portée de main et personne ne s'en saisissait ! Pour les ethnographes intéressés, sillonnez les campagnes françaises et belges à la recherche de messes où on n'observe que des têtes chenues : on y entend encore des horreurs post-Vatican II, chantées par ceux qui n'ont pas cherché à se mettre à jour.


Il fallut que les années passent pour que des communautés se forment et prennent en charge la composition et le renouvellement du répertoire : La plus connue et la plus active est sans doute celle de l'Emmanuel, regardée avec condescendance par les catholique pour sa spiritualité festive, spectaculaire et proche des milieux charismatiques, elle a toutefois pris une grande part de ce renouveau et composé une quantité invraisemblables de chants. Ses compositeurs puisèrent néanmoins dans le gospel et la musique pop, essentiellement. Dans leur sillage, le chemin neuf, les fraternités monastiques de Jérusalem, la Jeunesse franciscaine de Bitche apportèrent à leur tour leur contribution.


Enfin, l'émergence de compositeurs talentueux et décidés à récupérer l'héritage polyphonique liturgique accumulé depuis les grandes heures du baroque sacré. Citons Frère Jean-Baptiste du Jonchay, devenu Frère Jean-Baptiste de la Sainte-Famille et dont tout catholique Français a entonné au moins un chant, Anne-Sophie Rahm, Erwan Gevigney, Benoit Collet, les dominicains Clément Binachon et David Perrin o.p (auteurs du très beau Enfin me voici https://www.youtube.com/watch?v=i7Zf1EDjou8)., mais aussi Pawel Bebenek en Pologne, Monseigneur Marco Frisina, compositeur officiel du Vatican et enfin tous les groupes de pop louange, dont le plus ou moins tristement célèbre Glorious, venu braconner sur les terres des évangéliques.


Les Dei Amores Cantoris (DAC), eux, ce sont les stars du chant polyphonique. En trois albums et cinq ans, ce groupe composé d'une douzaine de chanteurs a complètement retourné la partie.


Rappelons rapidement les règles du chant polyphonique : quatre voix, deux voix de femmes, Soprano et Alto, deux voix d'hommes, Ténor et Basse (bien qu'en général les basses soient plutôt des barytons et descendent rarement en dessous du sol grave de la clé de fa). Les alto servent à mettre en valeur la voix de Soprane qui est celle que l'assemblée entonne, les basses donnent de l'épaisseur au chant tandis que les ténors apportent de la grâce par des accords judicieux.
Portés par trois compositeurs, Martin Szernovicz, Frère Gaétan et Tanguy Dionis du Séjour, ils vont de Purcell à la pop rock moderne, en récupérant des influences du chant grégorien et de Monteverdi).
Tirant profit de la puissance du choeur polyphonique et de toute la gamme des harmonies classiques, ils transforment l'exercice ennuyeux du chant en moment d'émotion et de pure grâce. Par la beauté des voix et la perfection des mélodies, ils veulent remettre l'émotion artistique et la beauté au centre de la prière d'où l'Eglise, par une sorte de fausse modestie, l'avait chassée. Ils assument la sophistication au service de la sanctification.


La source musicale, qui s'était tarie et avait laissé le troupeau dans l'hébétude coule à nouveau en abondance, comment ne pas s'en réjouir ? Car à la suite des DACs, de nombreuses chorales ont essaimé à travers la France. Des étudiants et jeunes professionnels qui vont chanter dans les hôpitaux, les prisons, pour des publics pas forcément chrétiens avec une idée, toucher le coeur des gens. Car au fond, qu'on soit croyant ou non, qu'on ait une liste d'arguments bien établie pour expliquer dans le détail tout le dommage que la révélation chrétienne aurait fait subir au monde, on se retrouve enfin de compte autour de la musique. C'est pourquoi ce groupe a fait le choix de l’éclectisme et de la qualité.


Que donnera cette nouvelle vague ? Est-ce une manifestation passagère de l'esprit "catho++" si justement relevé par le magazine La Vie à l'été 2016 ? Ou un soubresaut de vitalité d'une Eglise dont le projet anthropologique est toujours plus combattu ? L'avenir nous le dira mais en attendant, je vais me repasser le CD des DACs.

Fabrizio_Salina
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le 16 oct. 2017

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