Des chansons qui s'unissent pour donner un tableau moderne de l'intimité.

Tinder a, entre autres choses, ruiné la romance. Les rencontres sont bien souvent sans enjeu et deviennent parfois des bombes à retardement émotionnelles. Nous sommes devenus une génération de personnes en manque d’attention, qui ont peur de donner et de recevoir avec réciprocité. On ne veut plus de compromis. Tout doit être à nos conditions. Alors que le paysage des rencontres est maintenant bien chargé et que l'amour semble être une erreur, la musique Rn'B s'épanouit sous la pression d'une génération de cœurs blessés.

Depuis son EP de 2016, "Pho", Ari Lennox, la chanteuse soyeuse de "Dreamville", s'est efforcée de réduire l'écart entre la soul classique et le Rn'B moderne. Avec des influences allant de la vénérable Ella Fitzgerald à notre bien-aimée Lauryn Hill, en passant par une écriture qui puise dans les angoisses des femmes éprises de l’amour d’aujourd’hui, Lennox est la femme idéale pour se faire la voix de la génération maltraitée par les rencontres.

Ari Lennox aime la proximité. Ari se livre, se plaint et recule à la fois dans sa coquille. C’est ce qu'on ressent tout de suite à l'écoute de son premier album tant attendu, "Shea Butter Baby".
Il y est question du besoin d'amis "New Apartment", de la malchance des applications de rencontres "I Been", des souvenirs lointains de celui-ci "Static", et le souhait d'attention de ses partenaires “Whipped cream”.

Tous ces titres s’unissent pour donner un tableau moderne de l’intimité.

L'intimité est un préalable à l'amour, mais avec la multiplication des applications de rencontres et des médias sociaux, et le caractère de moins en moins fréquent des rencontres romantiques, l'intimité disparaît peu à peu au lieu d'apprendre à le développer et de le partager.
Il est beaucoup plus facile de tweeter une personne et d'obtenir une interaction que de s'asseoir en face d'une personne et d'apprendre à la connaître. Et c’est ainsi que meurt l’intimité, quand elle est cachée derrière un écran et rendue, de manière perceptible, accessible à tous.
Lennox le sait bien, et la perte d'humanité dans la romance et l'amitié imprègne son album alors qu'elle chante somptueusement : "Can I trust you? / Where have you been?" Sur "Speak To Me", une chanson qui déplore l'ordre établi des relations. Elle fait en sorte que quelqu'un se sente touché, mais nous luttons contre ce titre parce que nous ne pouvons pas permettre que cela devienne la vérité. Le sentiment se répercute sur "Whipped Cream", où Ari chante comme si la proximité était une véritable punition : "I've been thinkin' of you / I've been keepin' you / Alignin' my soul / With the devil that it chose".
Encore une fois, l'album se bat contre ces moments pour essayer de ramener l'intimité.

Donc, nous voyons "Shea Butter Baby" s'attaquer habilement au chagrin de l'ère numérique. “And I try, and I try, and I try, and I try, I try / But I’m havin' the worst luck on Tinder", Ari se lâche sur "I Been". Elle pleure un amant qui ne peut pas garder leur histoire, qui lui ment et l'emmerde continuellement, à tel point qu’elle a dû changer son numéro 47 fois.
C’est un grand moment pour "Shea Butter Baby", car l’album rapproche les chagrins de la nouvelle école avec la sensibilité old school des hommes indignes de confiance et manipulateurs. L'album suggère que si la mort de l'intimité est un nouveau type de chagrin, les problèmes eux-mêmes ne sont pas nouveaux. L'album nous empêche de nous sentir aliénés dans notre tristesse.

Quand il y a de l'amour dans "Shea Butter Baby", ça en vaut la peine. La performance vocale la plus dynamique d’Ari réside dans le titre, qui met en vedette un invité de classe, le chef principal de Dreamville, J. Cole. Il y a quelque chose de très émouvant dans la présentation trompeuse qu' Ari met en avant sur cette phrase : “You lost in the shape of my hips". Lorsque nous atteignons l'intimité sur cet album, le disque se concentre sur les moments minuscules qui rendent l'amour digne d'intérêt.

"Shea Butter Baby" n'est pas un album morose, mais honnête. Ari Lennox montre tous les moyens par lesquels la vision moderne de l'amour et de la sexualité nous a fait défaut et nous a blasés, mais elle met également en valeur la richesse de la bonté qui découle du fait de céder à l'amour et d'abandonner ces murs. Là où l’intimité se meurt, Lennox tente de la faire revivre, comme dans «Up Late», fascinée par les moindres mouvements d’amour et de passion. Ou à la sortie de «New Apartment», où Lennox réalise qu'elle a besoin de personnes dans sa vie pour en faire une digne d'être vécue. Rien ni aucun objet ne peut remplacer la chaleur d'un autre corps, songe-t-elle.

La plaidoirie finale de «Static» résume parfaitement l’album, tandis que Ari supplie son amour de ne pas la laisser submergée par le vide. C’est un moment de pure vulnérabilité. La chanson témoigne du désir ultime d'Ari de se lancer dans une pure romance, tout en luttant contre les tendances de l'amour moderne rapidement consommé.

"Shea Butter Baby" est une vraie satisfaction en ce sens qu’il présente toutes les façons dont le Rn'B s’adapte à une nouvelle vague de chagrin. Nous n'avons jamais vu de chagrin comme ça. La douleur de passer à travers une mer de gens sans cadre est nouvelle, mais heureusement, nous avons une voix tout aussi nouvelle et saillante pour nous guider à travers ces malheurs sans précédent.

Ari Lennox a créé "Shea Butter Baby", la bande son rêvée pour rendre la romance beaucoup moins difficile à vivre.

7/10