Récemment on vantait sur BUB les mérites du vintage en musique à propos de L. Pierre et son The Island Come True. En rapport à un autre genre, Somewhere Else de Sally Shapiro nous semble assez similaire dans la mesure où cet album affiche volontiers une forme de kitsch qui fait référence, lui aussi, à une époque révolue. La jeune femme et sa dance amicale sont en effet parfaitement décalées vis-à-vis de la synth pop actuelle, plus évanescente et surtout moins innocente. Mais c’est justement pour cela qu’on aime Sally Shapiro : sa naïveté, sa foi dans une forme de simplicité frontale qui nous fait réfléchir sur la frontière parfois mince entre attendrissement et ringardise. Cette hésitation qui, chez l’auditeur, parcourt Somewhere Else en fil rouge est sans doute ce qui en fait sa beauté timide.
L’album précédent de Sally Shapiro s’appelait Guilty Pleasure (plaisir coupable). Gageons que ce titre n’avait pas été choisi par hasard. La jeune femme sait sans doute très bien dans quelle cour elle joue, elle sait ce qu’elle risque en exposant sa voix mutine, presque enfantine face à des synthétiseurs volontairement datés. Elle a conscience que ses chansons feront sans aucun doute se hérisser les cheveux de tous ceux qui voient dans les années 80 une insulte à la pop. Mais l’enjeu de la musique de Sally Shapiro se joue à un autre niveau. Les tenues vestimentaires flashy, le fluo et la décadence, les claviers sautillants, très peu pour elle. Car à l’image de ses mélodies, la suédoise est élégante et discrète. Derrière les gros sabots de la production (qui envoie du bois en matière de beats racoleurs et autres sons barbapapa, c’est vrai) se cachent des mélodies construites tout en finesse, évolutives et charnelles. C’est ce paradoxe qui nous fait douter sur chaque chanson entre l’envie d’en rire et celle de se laisser emporter.
Cette collision de sensations, ce conflit intérieur, cela pourrait vite devenir éprouvant. Heureusement c’est (presque) toujours la surprise qui prévaut sur l’indétermination. C’est-à-dire que sur la plupart de ses chansons, Sally Shapiro propose quelque chose de différent. Ce qui fait qu’on est conquis rapidement par ses choix. Qu’il s’agisse de musique de club, de funk, de pop bucolique ou parfois d’expérimentation tranquille, Sally Shapiro décline la synth-pop sur de nombreux registres et chaque titre est en ce sens assez unique. Des percussions aux sons de basse en passant par la diversité des sons synthétiques, Somewhere Else révèle une véritable minutie dans la production qui met rapidement fin aux peurs qui nous agitent aux premières secondes des chansons.
Soit, on peut regretter que ce nouveau disque n’apporte pas de grain à moudre par rapport aux deux précédents, peut-être mieux écrits, et agités aussi par un vent de découverte. Mais il y a de toute façon cette voix. On l’a déjà décrite mais il faut souligner la déconcertante facilité de Shapiro à s’affranchir des mélodies instrumentales et finalement reléguer cette instrumentation sur un second plan, de soutien plus que de moteur. C’est elle qui, définitivement, nous convainc que son projet est bien plus qu’une parodie ou même un hommage poli aux années souvent honnies de la pop.