Plainte trop vite étouffée
Tout débute par un cri. A commencer par la vie elle-même, lorsque le petit braillard ratatiné s'extirpe du sein maternel, que ses poumons atrophiés se déploient et qu'il vagit ne sachant quoi faire d'autre. Sugarbread, lui aussi, débute sur un cri. Mais si le nourrisson reçoit immédiatement soins et nourriture, chaleur et attention, Anja Plaschg alias Soap & Skin n'a que le néant pour lui répondre. Au lieu d'aspirer goulument sa première bouffée d'existence elle suffoque. Et ses cris se font hurlements. Seul un beat macabre finit par faire tampon à sa douleur. Les hurlements se font enfin messe noire.
Ainsi débute la brève histoire de Sugarbread, disque si court qu'il parait avorté. Reste qu'en moins de dix minutes d'existence, le rejeton maudit se sera bien débattu. Semblant venir du tréfonds d'un puits, la voix puissante de Soap & Skin lutte avec l'énergie du désespoir pour briser les parois de son étroite prison de chair. Qu'elle s'acoquine avec les démons de Robert Johnson sur "Me & the Devil" ou qu'elle côtoie sa BFF la mort sur "Pray", tout n'est que lutte plus ou moins énergique contre cette condition révoltante qu'est celle du mortel. Et diable ce que c'est beau... Cette robe de corbeau aux mille nuances de gris qui fut rarement aussi bien portée depuis Nico. Cette obscurité en dentelle, qui jongle habilement avec la caricature d'un genre ultra balisé, sans jamais s'y échouer grâce à l'authenticité qui perle dans les moindres tons de cette plainte passionnée.
Enfin bon, tout ça c'est bien beau et fort pratique pour filer la métaphore, mais Sugarbread, EP à peine plus long qu'un single, ne sera qu'un plaisir bien éphémère. Peu de matière à nous mettre sous la dent, c'est d'ailleurs bien le seul défaut du disque. "Condemned to choke", nous dit-elle. Alors pourquoi prolonger plus longtemps la douleur ? Oui, ça se tient. J'aimerais bien un album quand même, moi...