Don't judge a book by its cover
Avec sa collection inépuisable de gimmicks sixties au son remarquablement moderne, et grâce à sa facilité à proposer un mariage parfait – en apparence – entre les glorieux pionniers du psychédélisme et la capacité de production de 2013, le parisien Orval Carlos Sibelius a tout de l’enfant prodige. Mais en apparence seulement. Car si Super Forma offre une remarquable première impression, les écoutes prolongées révèlent petit à petit des faiblesses cachées. Comment se fait-il que ces dernières nous aient un temps échappé ?
Premier contact : des perles telles « Asteroids », « Good Remake », « Desintegraçao » ou encore « Super Data ». De véritables souvenirs magnifiés de l’âge d’or sixties flottant entre fanfares miniatures, surf-music cosmique, psychédelisme hindou, pop acoustique et plus encore… Une impression enivrante de maximalisme qui prend d’autant plus d’ampleur que ces mini-tubes d’un autre temps débarquent les uns à la suite des autres. Un choix ingénieux qui garantit rétrospectivement un excellent souvenir dans l’esprit de l’auditeur qui refoule allègrement la platitude de la face B. Comment est-on passé à côté de ce creux ? La tracklist a certes pu nous fourvoyer de prime abord sur le contenu réel de Super Forma, mais il y a autre chose. Orval nous avait implicitement promis un véritable microcosme psychédélique, soit trois quarts d’heures passés à dévaler des compositions aux plans inventifs et bondissants. A la place, la deuxième moitié de l’album nous laisse avec des motifs peu inspirés et qui tournent en rond. Reste à se demander ce qui a pu faire naître en nous des attentes si hautes par rapport à un résultat bien plus modeste. Réponse : la production.
Celle-ci joue indubitablement un rôle énorme dans l’appréciation de Super Forma. Une grande partie du charme de l’album réside dans ces sons ajoutés, ces carillons en cascade, ces overdubs s’entremêlant comme par magie qui, une fois mis bout à bout grâce à une alchimie sonore dont Sibelius a le secret, habillent le morceau d’un costume scintillant. La transition entre la face A et la face B du coup se fait fluide car l’habillage reste le même bien que le songwriting ne suive plus ; l’illusion à court terme est presque parfaite. Mais ce serait oublier l’adage « don’t judge a book by its cover ». Car c’est bien connu ; la structure même du morceau décidera à elle seule si celui-ci résistera à l’épreuve du temps. En soumettant ses compositions à ce processus d’hyperproduction, Sibelius en a certes mis plein les yeux à l’auditeur de passage, mais il a surtout condamné ses chansons à se faire durement juger par celui-ci sur le moyen terme. On peut difficilement croire que le parisien n’avait pas, au moment d’agencer son disque, conscience sinon des faiblesses du moins des différences de dynamique entre ses deux faces. C’est pourtant son « attitude » – comprendre ici ce que l’on peut appréhender des intentions d’Orval au travers de nos premiers contacts, superficiels, avec l’album – qui nous semble problématique et qui provoque en nous cette attente trompeuse. Une première écoute se fait au travers de ces deux données clés : la tracklist et la production, c’est à dire respectivement l’organisation et l’emballage de l’album. Ces deux éléments peuvent être d’excellents moyens de nous introduire en douceur au contenu brut d’un disque, mais pour assurer la pérennité de celui-ci encore faut-il que les compositions suivent. De ce point de vue Super Forma n’est pas loin du semi-échec, car la grosse moitié des morceaux tient la route tandis que l’autre s’avère sévèrement boiteuse.
Il ne s’agit donc pas d’enterrer le dernier né d’Orval Carlos Sibelius, mais plutôt d’interroger le compositeur sur sa façon d’envisager la création de son disque, de reconsidérer peut-être la balance entre l’importance de l’écriture de ses morceaux, et celle de leur agencement ou de leurs arrangements.