Superjudge par Benoit Baylé
Exit John McBain. L’indifférence globale accompagnant la sortie du désormais culte Spine Of God n’empêchera pas l’indestructible Dave Wyndorf de se pencher peu à peu vers son successeur. Cela passe par l’excommunication de McBain, seigneur Wyndorf en a décidé ainsi. L’ancien guitariste de Spine Of God et Tab se voit rapidement remplacé par Ed Mundell, et une fois la tournée en première partie de Soundgarden achevée, Monster Magnet se lance à l’assaut de l’écriture de Superjudge. Assez étonnamment, la grosse maison d’A&M (aujourd’hui Sheryl Crow, Maroon 5, Nicole Scherzinger, Fergie et autres joies auditives…) décide de prendre en charge le groupe, voyant en lui une possible alternative commerciale au monopole grunge de l’époque. En 1993, toutes ces pathétiques attentes tombent assez logiquement à l’eau. Superjudge est un cuisant échec commercial, malgré une critique dithyrambique. Mais pour le moment, Dave Wyndorf n’en a cure. Il est trop occupé à célébrer ses héros de jeunesse, ses demi-dieux spirituels, ses compagnons de trip, les influents Dave Brock, Lemmy Kilmister et Nick Turner, rois d’Hawkwind et des terres acidifiées aux couleurs arc-en-ciel des années 70.
Car Superjudge est un ensemble de célébrations, une immense fête psychédélique où l’excès devient un accès vers l’esthétisme le plus absolu. Un esthétisme emprunt de couleurs lumineuses, de formes surabondantes, de poudreuses argentées, assimilable par moments aux grandes heures de Syd Barrett. La plus importante des célébrations de l’album est la drogue. Hallucinogène, en particulier. Les folies champignonesques au bout de la plume, Wyndorf pond quelques uns de ses vers les plus inspirés, ici sur « Cyclops Revolution » :
I’m gonna cry me a river, a river of tears
I’m gonna crawl back in my room now
And boil up some fear
I’me gonna eat me a mountain, a mountain of pills !
Ain’t I got no revolution
But I can fuckin’ a kill
La solitude, le repli sur soi, la prise de narcotiques, le suicide, la fausse souffrance grunge… Le texte pose les questions, l’enrobage musical apporte les réponses. De l’inconscience rageuse se dégage de cette chanson introductive, au premier abord terrée sous les caverneux accords d’Ed Mundell. Puis tout explose, libérant d’impitoyables déflagrations fuzz survolées par les cris et incantations de Dave Wyndorf, tout simplement insaisissable. « Cyclops Revolution » est un des tous meilleurs titres du Monstre Taureau, mais aussi le meilleur de Superjudge, et donc un des tous meilleurs du genre.
Responsable en grande partie de sa réussite, la guitare est la seconde célébration de l’album. Ed Mundell ne sera plus jamais si libre sur sa six-cordes que sur « Face Down », « Superjudge » ou « Elephant Bell », odes délicieuses à la pédale fuzz, délicieuses car trop rares et pourtant tellement jouissives. L’opus est à ce titre un des tous meilleurs des années 90, loin devant les onanismes de Joe Satriani, Steve Vai ou Roope Latlava.
Même si l’œuvre est sincère, certains morceaux manquent de caractère (« Stadium », « Evil ») et d’autres se révèlent simplement dispensables comme cette reprise de « Brainstorm » qui ne renouvelle en rien l’originale. L’impression d’homogénéité globale se dégageant de la production brumeuse très seventies pêche par son manque de relief et ne favorise pas l’appréhension de certains morceaux touchés par la redondance générale de l’œuvre. Toutes les productions sont sur le même degré, ont la même puissance et parfois les mêmes effets.
Mais ces quelques défauts n’ôteront pas le statut d’objet culte légitimement attribué à Superjudge, un des meilleurs albums de guitare de la décennie et un des emblèmes du stoner rock encore en pleine expansion. Et le meilleur reste à venir…