L'évolution d'un genre musical est toujours saisissante et intéressante à observer. A la genèse du mouvement, les codes encore fragiles se mettent en place, constituant une base solide pour ses acteurs qui ne demandent qu'entrer en scène. Une pérennité s'installe alors permettant à ses plus grands aficionados de vivre autour de cette passion un véritable mode de vie, voire de déceler des destins insoupçonnés. Mais la musique avec un grand M ne serait pas ce qu'elle est sans quelques chamboulements de ses propres règles par des membres en quête d'expérimentations toujours plus poussées. Parfois décriés à leur arrivée par quelques gardiens du temple trop à cheval sur les codes établis, ces nouveaux genres ont su au fil des années devenir indispensables pour l'histoire du mouvement entier. Le rap n'en est pas exempt et son histoire est marquée de sous-genres qui ont su gagner du galon grâce notamment à des personnalités charismatiques.

Ron Braustein, figure reconnue dans le milieu underground new-yorkais, et gérant de son propre label Psycho-Logical-Records depuis quatorze ans, en fait parti. Avec neuf albums studios et autres compilations à son arc, le jeune homme âgé de trente-six ans plus connu sous le nom de Necro, a su en une dizaine d'années imposer ses références et influences musicales pour créer ce qu'il appellera le "death rap". Véritable fan de la première heure du heavy comme du death métal, le rappeur-producteur aura su puiser toute l'essence de ces différents styles pour l'intégrer à un rap qui sait se montrer déjà bien hardcore quand il le veut.

L'hardcore qui semble d'ailleurs être une affaire de famille chez les Braustein. Puisque le frère de Necro n'est autre que Ill Bill, rappeur de l'underground connu pour son groupe Non Phixion et plus particulièrement pour son affiliation avec les groupes Jedi Mind Tricks ou encore La Coka Nostra. Avec de telles fréquentations, inutile d'attendre de sa part un rap plus adouci que son frère. Lui-même producteur et patron de label, Bill réalise un boom bap efficace et sans répits sur des lyrics ravageurs et sans pitié. Après plusieurs collaborations , notamment le travail de production de Necro sur les albums de Non Phixion au début des années 2000, l'alchimie qui unie les deux frères face à un rap plus hardcore que jamais, éclate aux yeux de tous. Ainsi en 2005, l'idée de créer un supergroupe les unissant à des compères de fortune sonne plutôt bien à l'oreille des fans de rap underground de la côté Est. C'est alors avec l'aide de Mr. Hyde et Goretex, que les deux frères créent le groupe The Circle of Tyrants, gagnant au passage la palme de l'hyperbole du nom de groupe de mauvais garçons. Seul peut être Army Of The Pharaohs peuvent leur faire de l'ombre sur ce point.

Devant la répartition des rôles de tout ce beau monde, on se rend vite compte que Necro prend très à cœur ce projet. Il endosse la responsabilité de sortir le disque sur son propre label afin de pouvoir avoir la main mise et un contrôle total sur le contenu. Lui qui est habitué à la sortie de maintes mixtapes ou EPs. C'est sans surprise qu'on le retrouve derrière la production de chaque titre, ce groupe étant pour lui une nouvelle opportunité de laisser exprimer son style qui le caractérise si bien. Drogues, sexe, violence, la mort, l'occulte, autres récits d'horreur, tels sont les thèmes cher à Necro, qui n'est pas vraiment ce que l'on peux appeler un enfant de cœur. Ingrédients primordiaux de ce fameux "death rap", ces thèmes sont repris directement du death metal, que le concerné adore sans vergogne. Qu'on jette la première pierre à ceux qui osent contredire cet amour de Ron Braustein pour cette musique de riffs violents, car il n'est pas né de la dernière pluie. En effet, rare sont les MCs qui ont pu collaborer avec de véritables stars du métal tels que Scott Ian d'Antrax et Dave Ellefson de Megadeth. De quoi faire pâlir n'importe qui à la lecture du CV du bonhomme.

Bien que la musique de Necro représente ce que le rap a fait de plus sale, violent et sans scrupules, ce "death rap" comme il faut l'appeler n'est au final qu'une déclaration d'amour, à sa manière je vous l'accorde, d'un homme envers la musique qu'il aime. Ils sont nombreux les exemples pouvant s'apparenter à ce développement de ce sous-genre. Finalement pas si loin d'un Dr.Dre samplant à foison la musique funk et soul de son enfance pour créer le dansant G-Funk. Avec comme référence des albums tels que "Kill 'Em All" de Metallica, "Reign In Blood" de Slayer ou encore "Leprosy" de Death, et ayant été très touché par la mort de leur chanteur Chuck Schuldiner - considéré comme le père du death metal - Ron sait de quoi il parle et il le fait bien. A l'aide d'un hip-hop ultra violent, certes, mais bien.

Il ne faut pourtant pas croire que les autres membres se sont sentis lésés lors de l'élaboration des treize titres, chacun partageant la même vision que le frère Braustein. A l'image de la pochette où on voit les quatre MCs représentés sous la forme de personnages tout droit sortis d'un film d'horreur. Se jetant sur nous comme s'ils voulaient en découdre au plus vite, répandant la terreur ne nous laissant aucune autre issue que la mort. Comme si pour cet album, les compères avaient endossés des identités doubles, histoire de se substituer de toute responsabilité en cas de tuerie. A l'image des membres du Wu-Tang, prenant le nom de personnages de super-héros de Marvel-Comics - Method Man était Johnny Blaze (Ghost Rider), Ghostface Killah, Tony Stark (Ironman). Sorte de schizophrénie pour le meilleur ou pour le pire.

Necro, pour qui dans les années '80 " the sh*t was pure", réussit à nous produire une ambiance musicale des plus solides et enclines à laisser parler les pensées sordides des quatre MCs. Toutefois l'ensemble n'est pas homogène, mais brille au contraire par une hétérogénéité dans les titres reconnaissable. En effet, les morceaux peuvent être dispatchés en trois parties. Tout d'abord l'album peux prendre l'auditeur par surprise avec "The Chosen Few". Bien que les guitares soient d'ores et déjà présentes, ce sont les notes de synthétiseur qui attirent l'attention, donnant une ambiance eighties, à la manière de la scène de la boîte de nuit dans Scarface, autre figure emblématique du producteur. Que l'on se rassure, le morceau ne sonne pas pop pour autant, mais constitue une entrée en matière plus douce que ce que l'on aurait pu penser. Dans la même veine, "Carnivores", est construit autour d'une suite de mêmes notes de synthétiseurs, là où les guitares sont absentes, donnant un côté beaucoup plus mélancolique. Là où ces deux titres auraient pu être les introductions de scènes calmes d'un film d'horreur, "Take It In Blood" pourrait en être la conclusion. Avec ses notes d'orgues à en perdre la tête et son sample vocal à rendre fou, on imagine presque les quatre personnages plonger sur leur proie apeurée après une fuite inutile.

Les deux premiers morceaux cités précédemment sont une bonne surprise et permettent au groupe de prendre légèrement à contre pied des auditeurs ne s'attendant qu'à des titres faits de guitares saturées et de lyrics criés plus qu'il ne le faut. Car même si Circle of Tyrants tirent leur nom d'une musique du groupe Celtic Frost, ils n'en restent pas moins un groupe de rap. Ainsi on a droit à des purs titres dans la lignée de l'underground new-yorkais estampillé boom bap. Comme sur "Severed Organs" à vous faire hocher la tête, ou encore "South of Heaven" et sa grosse ligne de basse. Titre d'ailleurs qui permet d'observer un changement de flow chez les MCs, preuve de leur grande technique en n'importe quelle situation. Car les flows des quatre compères sont affûtés, rôdés, et l'on sent l'envie de tuer du micro derrière chacun de leur passage, allant jusqu'à avoir la voix cassée par moment.

Là où de nombreux groupes se sont déjà essayés à la combinaison rap sur une production rock, tout en restant dans une forme académique ennuyante à mourir, Circle of Tyrants se démarque de par son expérience du sujet. "Necrotura" (avec en guest Alex Skolnick de Testament et Igor Cavalera de Sepultura) est alors un exemple du genre. La batterie se lance seule, puis vient la basse, puis la guitare électrique. S'en suit les couplets des performeurs entrecoupés de solos et de cris à vous faire froid dans le dos, pour terminer sur un superbe solo d'environ deux minutes, pour un morceaux qui en fait 6mn19. L'influence du métal n'est pas là pour faire de la figuration ou pour prouver quoique ce soit des quatre psychopathes, elle sert juste à démontrer le respect que chacun a pour cette musique, qui leur rend si bien. Un exemple que trop de groupes devraient s'inspirer. Comme sur "The Ultimate Revenge" (avec Vinny Appice de Black Sabbath) où les guitares électriques sont le plus poussées à leur maximum notamment sur le solo de fin, pour un morceau de seulement 2mn41.

L'album éponyme de Circle of Tyrants est un pari réussi à tous les étages. Accessible pour les fans de rap underground qui ne seront en aucun cas dépaysés grâce à une production hétérogène qui a su mêler à merveille guitares et boîtes à rythme. L'album n'est pas non plus dénué d'intérêts pour les fans de métal, qui retrouveront dans l'essence des morceaux un profond respect pour leur musique. Allant même jusque dans le nom de chaque titre qui correspond à ceux de groupes de métal comme "South of Heaven" qui vient de Slayer ou "The Four Horsemen" de Metallica. Il ressort de ces treize titres une authenticité à toute épreuve, de la part d'un homme essayant de faire de son mieux pour ne pas décevoir cette passion qui le brûle depuis gamin. On ne sait pas si les membres de Circle of Tyrants font l'amour ou la guerre, mais ils aiment la musique, et finalement on ne leur en demande pas plus.
Stijl
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le 8 juin 2013

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