Le truc le plus punk de la terre

C'est précisément l'expression que j'utiliserais pour décrire cet album au néophyte : "le truc le plus punk de la terre". Étrange, pourtant, quand on y entend "Punk is dead" et "Fuck the punks". Le communisme et autres idéologies y sont dénoncées tout autant. Mais si Crass défonce le punk préfabriqué et commercial du Clash ou des Pistols, il ne fait que le transcender en le réinventant, et tout d'abord lui redonnant une véritable éthique anticommerciale et DIY, puis en lui redonnant une véritable assise politique. Religion, militarisme et capitalisme y sont déboulonnés, mais non plus gratuitement en suivant un nihilisme abruti : Crass est punk et rêve de révolution.

Crass est modeste et rejette toute prétention : son leader se rebaptisera Steve Ignorant. Et chez eux, c'est bien entendu la musique qui se mettra au service des paroles. On a plus affaire à des chants de manifestants qu'à des tubes calibrés. Le rythme est décharné et les mélodies libérées de tout artifice (j'ai besoin de préciser que pas un millième de seconde n'est dédié à un solo sur cet album ?). De toute façon, certaines chansons dépassent à peine les trente secondes. Paradoxalement, leur musique y gagne un aspect expérimental. On les comprend, la violence du bruit blanc renforce l'aspect coup de poing du propos.

Forcément, je ne recommande pas cet album à un débutant du punk, qui sera refoulé à l'entrée de ce bunker froid et peu avenant. Mais celui qui se renseigne sur l'histoire du mouvement se doit de découvrir le chaînon manquant entre le Clash et la vague hardcore américaine. On peut même sentir une influence certaine sur le grind.

Moi-même d'abord peu satisfait de cette expérience, une seconde écoute s'avéra fructueuse. En entamant la deuxième face, je commençais à taper du pied en rythme et scander les slogans d'une efficacité qui n'a d'égale que celle du collage de la pochette, n'ayant qu'une envie : retourner 40 ans en arrière et les rejoindre dans leur grande marche !