La marmite musicale bouillonne. Le cuisinier multi-instrumentiste Quentin Le Roux s’active aux fourneaux. Sous un crépitement d’étincelles, ses ingrédients mélodiques glissent avec allégresse, comme une boule de naphtaline sur un gilet de flanelle. Seconde fournée d’un chef étoilé, The Point of No Return a la saveur des galettes savamment épicées, aussi croustillantes qu’exotiques.
Le collectif Chinese Man et le compositeur Wax Tailor s’inclinent eux-mêmes devant l’évidence. Le trip-hop est une affaire de climats et d’influences. Hugo Kant ne le sait que trop bien, lui qui les additionne de longue date avec une sagesse de mathématicien grisonnant.
Sous sa coupe, les sonorités se chevauchent, se conjuguent à tous les temps, et à tous les tempos. Elles invitent à ouvrir des portes vers des segments pointus, aux ambiances sombres ou diaphanes, chargées à la testostérone comme à l’évanescence.
À peine s’amorce l’excellent Dr Van Helsing que, déjà, les tympans vibrent avec gourmandise. Quelques notes de piano, les scratches incisifs de Zé Mateo et une flûte traversière envoûtante viennent caresser la rythmique et faire dérailler les boucles. Une programmation enlevée qui débouche sur le plus conventionnel The Event Log, écrin luisant et éclectique sur lequel se pose la voix gracieuse de Kathrin deBoer. On devine alors qu’Hugo Kant rechignera à desserrer l’étreinte, qu’il se délectera de bout en bout à jumeler mélodies, textures, samples vocaux et accroches de haut vol.
Bien équilibré, The Point of No Return se pare des vertus des trames musicales complexes et intemporelles. Son maître d’œuvre associe avec maestria des boucles entêtantes et inquiétantes (Little Tale), des guitares grasses et éraillées (There’s No Need To Be Frightened), des jappements ensauvagés (It’s An African Jungle), des sonorités métissées (Erhu) ou encore des extraits vocaux évocateurs (John Fitzgerald Kennedy sur un Secret Society empreint d’urgence).
D’une teinte très cinématographique, riche et virtuose, The Point of No Return embarque en outre Astrid Engberg et LostPoet pour deux épopées musicales implacables, conviant avec maestria mélancolie, rap et funk. Arpentant tous les terrains, Hugo Kant s’érige ainsi en architecte émérite, capable de se projeter au-dessus de la mêlée, d’impulser comme de réfréner, d’élaborer et de parfaire. Un compositeur adepte des ruptures de ton, des distorsions de tempo, des sections rythmiques ondulantes et pénétrantes.
Ou, plus simplement : un talent brut gagné par la maturité.