The Shadow of a Rose par G_Savoureux
Dans certains champs disciplinaires, on a déjà entendu la maxime : Less is More.
Moins, c'est plus ? Il a y deux manières d'assimiler ce concept. Soit on se base sur l'usager, le spectateur, et on se dit que moins il y a d'effets, plus le résultat de ceux-ci sera fort et marquant. Un moyen d'éviter de noyer le message important sous un empilement d'éléments superflus. Mais si on se retourne vers le créateur, on s'apperçoit bien souvent que ce moins signifie aussi plus de travail nécessaire, plus de talent, plus d'inspiration, de rigueur. Car si rien n'est là pour masquer le peu que l'on tente de mettre en avant, mieux vaut que ce que l'on fait aie du sens, de la qualité, faute de quoi, le moindre défaut sera plus criant, plus gênant et même rédhibitoire. Ce qui est certain, c'est que quel que soit le point de vue, Less is More implique nécessairement un sens de la mesure.
J'ignore si Fred Yaddaden est un adepte de cette manière de penser. Le bonhomme semble suffisamment discret -presque secret- pour qu'il soit relativement difficile de le pister. Toujours est-il que ce premier disque sous son véritable nom (il officiait auparavant dans un groupe de hip hop sous le pseudonyme de Defré Baccara) démontre à merveille que Less is More est fondé. On imagine, pour un DJ/producteur, le bouillonnement d'idées et d'envies qui doit l'envahir au moment de signer un premier album de son nom. Tellement de morceaux sont utilisables, il y a tant de boucles à dénicher, à sectionner au scalpel, à enchaîner, tant de directions sont offertes. Sauf que Fred Yaddaden aura clairement su faire preuve de retenue. De mesure, donc. Chaque sample semble être réduit à son minimum, mais exploité de manière optimale.
D'autres l'avaient fait avant lui, le meilleur exemple étant DJ Cam, pour son album Substances. Près de 15 ans plus tard, The Shadow of a Rose suit d'ailleurs les traces de ce disque majeur de l'abstract hip hop, mais en plus froid. Il y a ici moins de voix, moins de chants, moins de cuivres, un côté moins jazz. Mais aussi une plus grande maîtrise de l'espace, du silence, de la suspension avant le claquement du premier beat. Il faut dire que sa biographie nous informe que ce disque aura été produit entre 2003 et 2005, pour une sortie en 2010. Cela laisse du temps pour revenir sur ce qui ne marche pas, s'assurer que les instruments que l'on place ont un sens et que rien n'est fait à la hâte, simplement pour flatter l'auditeur peu exigent.
Le son est froid, tendu. Les violons semblent vouloir s'évader, mais le beat implaccable les retient, les emprisonne presque, comme une force supérieure qui imposerait sa loi. D'autres instruments viennent à la rescousse, puis une voix, un chant, mais rien n'y fait.
On imagine de la buée s'achapper de ces quelques voix, à mi chemin entre désespoir et envie de lutter. On perçoit une solitude, une tristesse, une mélancolie générale qui pourraient être blessantes si elles n'étaient pas mise en musique de si belle manière.
Au final, l'album s'inspire donc de ses ainés, qu'ils se nomment DJ Shadow, DJ Krush ou DJ Cam. Le premier s'étant éloigné (et perdu ? ) vers le Crunk, le second vers la noirceur et le dernier vers la soul façon Philadelphia, l'espace était de toute manière prenable, et Yaddaden a saisi sa chance, de manière personnelle, rigoureuse et inspirée. Et on en redemande.