Le CNN des favelas
Quand ils sortent Sobrevivendo no inferno en 1997, les Racionais MCs sont déjà le fer de lance du jeune rap brésilien. Cela fait déjà 10 ans que Mano Brown, Edy Rock, Ice Blue et KL Jay travaillent...
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le 30 juil. 2022
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(originellement publié sur mon site http://la-musique-bresilienne.fr )
Du gospel au reggae en passant par Bach et les pontos de candomblé, on sait que la foi peut être une grande source d’inspiration. Et dans le domaine, il n y a pas de sous-religion comme nous le prouve Tim Maia avec la Cultura Racional.
Quand ce dernier s’éprend de cette secte en 1974, il est déjà une immense star. Il a bien baroudé pour en arriver là. Sebastião Rodrigues Maia de son nom de baptême, grandit à Rio de Janeiro où il s’éprend de bossa nova et de rock’n’roll. Batteur et guitariste précoce, il joue adolescent dans plusieurs petits groupes aux côtés notamment de Roberto et Erasmo Carlos.
En 1959, à 17 ans, sans un sou en poche, ni parler anglais, il plaque tout pour tenter l’aventure américaine. Suivent quatre années entre Tarrytown et New York où il intègre un groupe vocal de soul avec lequel il enregistra un single – sans lendemain. Mais surtout, il cumule petits boulots, petits larcins, petites copines et grosses défonces ; bref fait rimer le malandro de Rio de Janeiro avec le sex drugs and rock’n’roll gringo. L’aventure tourne court quand il est arrêté dans une voiture volée et en possession de drogue. Il est incarcéré six mois puis expulsé des États-Unis.
Qu’à cela ne tienne, il revient au Brésil aussi pauvre qu’à son départ, mais les oreilles pleines de soul et bien décidé à la faire connaître au pays de la samba. Cela prend encore quelques années, le temps de renouer avec le milieu musical brésilien dont ses amis d’enfance Roberto Carlos et Erasmo Carlos entre-temps devenus d’immenses stars. Après tout, leur rock partage son obsession pour la musique anglo-saxonne.
Il place une composition dans un album de Roberto Carlos, puis chante un duo avec la diva de la MPB Elis Regina et enregistre un single en 1968. Il explose enfin en 1970 avec son premier album solo. Porté par des tubes immédiats comme Azul da Cor do Mar, il s’impose comme une des meilleurs ventes de l’année. Il y dévoile ses compositions langoureuses, sa voix belle chaude qui sait aussi jouer le falsetto, la finesse des arrangements et bien-sûr son sens du groove. Autant de qualité qui font de lui le parrain incontesté de la soul brésilienne et même au delà de toute la black music made in brazil comme en témoignera son influence sur le rap brésilien*.
Il faut dire que si Tim Maia n’était pas le premier Brésilien à s’inspirer de la soul américaine, il est le premier à vraiment comprendre ce style et à s’y dédier corps et âme. A part quelques sporadiques références sporadiques au baião nordestin, on aurait bien du mal à trouver des traces du Brésil dans sa musique, contrairement aux tentatives de Wilson Simonal, Dom Salvador ou Jorge Ben. Il n’est pas là pour réinventer la soul music à la brésilienne mais est plutôt son fidèle ambassadeur. Un positionnement respectueux du genre qui explique sans doute qu’il reste méconnu aux Etats-Unis, alors qu’il est une immense vedette au Brésil (syndrome Johnny Hallyday pourrait-on avancer si on ne voulait lui manquer de respect**). Mais Tim Maia n’est pas non plus dans la parodie, et s’il va jusqu’à se donner un prénom anglophone et chanter certains titres en anglais, il parle bien du Brésil comme en témoignent les fabuleux titres Flamengo dédié à l’équipe de football de Rio de Janeiro ou Padre Cícero, en hommage au légendaire prêtre révolutionnaire brésilien. Le reste du temps, il laboure le champ lexical de l’amour comme sur le poignant Eu amo você, signé de son guitariste Cassiano.
Après quatre disques dans la même veine, nous arrivons en 1974. Auréolé de gloire, il mène une vie de débauche et déjà est célèbre pour ses excentricités et son absence de ponctualité, voire pire. Comme le titrait un journal de l’époque : “Vous n’êtes pas allé au concert de Tim Maia ? Lui non plus !” C’est dans ce contexte qu’il découvre la Cultura racional. Cette “culture rationnelle” est bien loin de Descartes mais a tout de la secte. Vaguement dérivée du culte afro-brésilien Umbanda, elle se fonde sur le livre mystique Universo em Desencanto qui raconte l’origine extraterrestre de l’humanité. Suivant les préceptes de la secte, Tim Maia se vêt de blanc, arrête le sexe et la drogue, mais heureusement pas la musique. Au contraire, il se lance dans la production d’un album entièrement dédié à la Cultura racional. De manière compréhensible, le label Polydor qui tolérait ses excentricités de rock star, prend peur devant cette crise de foi et refuse de produire le disque. Tim Maia ne se démonte pas, et lance son propre label pour sortir le disque, rationnellement intitulé Racional vol. 1.
Comme Jorge Ben l’année précédente et son ésotérique A Tábua de Esmeralda, Tim Maia réussit son pari impossible. Bien qu’entièrement à la gloire de la secte, vantant la sagesse de son gourou ou incitant à lire le fameux Livre comme un vulgaire vendeur de téléachat, il parvient à faire un disque passionnant. Porté par sa ferveur religieuse, peut-être aidé par la vie plus saine qu’il mène, Tim Maia atteint des sommets. Loin du disque monacal qu’on pouvait craindre, il suinte le groove par tous ses microsillons. Les riffs de guitare sont affutés, la batterie en ébullition et les lignes de basse plus rondes que la bedaine de Tim. Bien entendu, le disque, tout comme le volume 2 qui lui succède, est un bide total.
Tim Maia rompra dès 1977 avec la secte, aussi brutalement qu’il s’y était voué, accusant le gourou de charlatanisme. Il ira jusqu’à détruire les invendus et refusera toujours de le chanter en concert ou de les voir réédités, ce qui n’est pas pour rien dans le statut culte qu’acquerra le disque au fil des années. La Cultura Racional, quant à elle, retournera dans l’anonymat dont Tim Maia l’avait tiré, ce qui nous permet de paraphraser ce que disait Cioran à propos de Bach : si quelqu’un doit tout à Tim Maia c’est bien le Dieu de la Cultura Racional
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le 11 août 2021
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