L'union fait la force selon le dicton. Dans le cas du Wu-Tang Clan et ses neuf shaolins rappeurs armés jusqu'aux dents, la maxime se confirme. Si l'évidence ne se discute pas pour les deux premiers albums de la nébuleuse, ni pour les premiers solos des figures les plus influentes, la question se pose à la fin des '90s, décennie dorée de la formation. Si Method Man, GZA ou Raekwon cartonnent avec leurs disques tous particuliers et peaufinés par un RZA au sommet de son art, le fossé commence à se creuser avec les membres moins en vue. Parmi eux, Jason Hunter aka Inspectah Deck, fera partie de l'histoire sans fin des injustices du monde impitoyable de la musique.


Si ses deux partenaires U-God et Masta Killa ont du retarder la sortie de leur propre effort pour cause personnelle, emprisonnement entre autre, Deck n'a pu compter uniquement sur la malchance et la fatalité. Censé sortir en 1997, Uncontrolled Substance doit attendre deux années supplémentaires pour voir le jour, soit une éternité. Surtout que la même année, le deuxième LP du groupe, Wu-Tang Forever, pointe le bout de son nez, et avec lui, la nouvelle fournée de solos. Ce délai lui fait donc prendre encore plus de retard sur ses collègues. La faute à l'inondation de la cave de RZA et à la perte d'une centaine de morceaux, dont la plupart étaient destinés au rappeur détective. Un coup du sort qui l'oblige à retourner en studio et repartir de zéro.


Impossible de prédire le rendu d'Uncontrolled Substance s'il était sorti comme prévu, mais une chose est sûre, cet opus sorti en 1999 ne reflète pas suffisamment le talent de son créateur. Pourtant dès 1993 et Enter the Wu-Tang (36 Chambers), il se fait remarquer et contribue à énormément de couplets et de rimes célèbres, dont celles sur ''C.R.E.A.M.'', maintes fois samplées par la suite dans le milieu. Son flow est semblable à sa personnalité ; posé, sérieux et incisif. A tel point que chacune de ses apparences vaut le détour et marque les esprits sans avoir à pâlir face à ses camarades de galère. Sur leurs disques solos tout comme sur le nouvel album du Wu, Inspectah se montre toujours préparé et prêt à délivrer des phases assurées et bien écrites. Il suffit d'écouter son couplet sur ''Triumph'' issu de Wu-Tang Forever, considéré comme l'un des meilleurs du hip-hop, pour s'en convaincre. D'ailleurs si son propre opus devait sortir en 1997, Deck avait pu se faire la main du côté de la production avec notamment la confection du morceau ''Visionz'' sur ce même disque des moines rappeurs. Expérience qu'il réitérera sur Tical 2000 : Judgement Day de Method Man, RZA as Bobby Digital in Stereo et Beneath the Surface de GZA. Mais avant ça, il produira lui-même cinq instrumentaux d'Uncontrolled Substance, entouré de producteurs affiliés au Wu pour l'aider comme 4th Disciple ou True Master.


Cet album est le premier à se passer de RZA à la production et cela se ressent. Gros point faible du disque, elle ne parvient à aucun moment à instaurer une ambiance atypique ni à coller parfaitement à son auteur. Là où ses collègues possèdent un produit créé à leur image, celui de l'inspecteur tombe rapidement dans la banalité, avec aucun titre marquant pour inverser cette impression. Pour un membre d'un groupe qui a construit sa légende sur un univers précis et remplie de mythologies, ne pas réussir à se démarquer du reste de la scène new-yorkaise et à imposer sa marque est un problème. Il y a bien un sample du début de ''Clan in da front'' dans l'introduction, une plage appelée ''9th Chamber'' voire même des bourdonnements qui rappellent les Killah Bees, mais sinon, rien ne fait penser immédiatement au Clan.


Le rappeur évoque pourtant les mêmes sujets que sur ses précédentes apparitions -la vie dans la rue, la drogue (''Uncontrolled substance''), les relations compliquées avec le sexe opposé (''Femme fatale'', ''Forget me not'')- et ce avec une volonté certaine, mais insuffisant pour emballer l'auditeur et le marquer profondément. S'il y a une volonté d'entrée d'y aller fort avec ''Movas and shakers'' et ses cuivres triomphants, peu de titres tiennent le coup et restent trop dans la moyenne pour être inoubliables. ''The grand prix'' avec U-God n'en est pas vraiment un et ne décolle jamais malgré les sons de moteurs, assez désagréables à la longue tandis que ''Longevity'' se contente de notes au piano sans réelles inspirations. Chez les grands noms tout de même présents, Mathematics (le morceau éponyme) et Pete Rock (''Trouble man'') proposent chacun un travail limité comparé à leur réputation. Surtout que la même année Mos Def rappait sur le génial ''Mathematics'' du même producteur. Accompagné de la famille Wu jusque derrière le micro, Deck compte sur Streetlife, Killa Sin, Beretta 9 et La the Darkman rien que pour ''9th Chamber'' sans que leur présence n'apporte un réel soutien. Pas que leur performance soit mauvaise, mais aucune ne retient réellement l'attention. Dur de remplacer des noms comme GZA, Raekwon ou Method Man lorsque vous n'êtes qu'un second couteau.


La deuxième tournée d'albums solos post-1997 sera un grand tournant pour les rappeurs au katana. A part Ghostface Killah qui continuera un parcours presque sans fautes, tous vont avoir du mal à se relever de leur succès passé. Arrivé en plein dans cette période, Uncontrolled Substance possède déjà les défauts de ces disques à venir, sans que son auteur n'ait connu la reconnaissance auparavant. La preuve qu'une carrière aussi, peut être incontrôlée.

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le 17 févr. 2015

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Stijl

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