Le premier morceau de "A Deeper Understanding" déconcerte l’auditeur. Et les questions se bousculent dans sa tête : qu’est-ce que c’est que ce son exagérément compressé ? pourquoi cette coloration électronique plus que soutenue ? Adam Granduciel a-t-il décidé de mettre sa musique magnifiquement intemporelle au goût du jour, un peu comme Lambchop l’année dernière ou comme Timber Timbre au début de 2017 ?
Mais, une fois la première surprise passée, l’auditeur retrouvera ses marques : ces chansons à grand spectacle, amples et lumineuses, gorgées d’un lyrisme puissant qui déborde à chaque fois que la guitare incandescente prend son envol, c’est clairement l’essence de la musique de The War on Drugs. Certes, les références à Dylan et à Springsteen sont partout, sans doute inévitables parce Granduciel a été nourri de cette musique-là, mais, à la différence de l’album précédent, elles sont clairement transcendées : indiscutablement, Adam Granduciel poursuit la geste romantique de deux des plus grands artistes de la musique américaine, avec le même élan lyrique, et parfois la même force (on peut également penser aux morceaux le cavalcades furieuses de Neil Young & Crazy Horse, ce ne serait pas un contre-sens !). Mais là où The War on Drugs devient une expérience atypique, c’est que Granduciel, digne rejeton d’une époque qui lorgne de plus en plus vers l’autisme, inverse ses élans, les retourne au sein d’une expérience quasi-claustrophobe, ou en tout cas totalement introvertie.
Le son, revenons-y, de "A Deeper Understanding", est une accumulation obsessionnelle, frôlant le délire, de couches d’instruments, au sein de laquelle l’électronique trouve donc sa place. Il trahit finalement bien les obsessions d’enfermement d’un Granduciel, qui recherche certainement dans son studio une sorte de réponse à ses interrogations, ses doutes, ses angoisses souvent informes qui peuplent les textes de ses chansons. Du coup, l’album est moins explosif, moins directement efficace que son prédécesseur, et demandera un peu plus de patience pour révéler des charmes finalement différents.
Heureusement, on échappera à l’asphyxie qui menace à tout moment grâce à une belle poignée de mélodies lumineuses, de ce que l’on est bien obligé de qualifier de « grandes chansons » : prenez par exemple "Strangest Thing", et dites-moi si, dès la première écoute, on n’a pas le sentiment d’être devant quelque chose de véritablement exceptionnel ?
[Critique écrite en 2017]
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