Abbey Road est le dernier album enregistré par les Beatles, bien que Let It Be soit sorti plus tard. C'est loin d'être leur meilleur, mais nous tenons quand même là un très bon disque, dont les derniers instants (nonobstant "Her Majesty", première piste cachée de l'histoire du rock) sont de surcroît une magnifique conclusion pour l'ensemble de leur oeuvre. Moins psychédélique que les albums précédents, Abbey Road est un disque de rock intégrant différentes influences et laissant un espace d'expression artistique à chacun des membres du groupe.
Le medley composé en grande partie par Paul McCartney est célèbre, bien qu'assez inégal : si les notes de piano de "You Never Give Me Your Money" arrivent à point, si "Polythene Pam" est péchue et "The End" géniale avec l'idée de solos successifs des quatre Beatles (dont Ringo Starr à la batterie), la chansonnette "Mean Mr. Mustard" est médiocre et "Carry That Weight" carrément imbuvable. En dehors du medley, "Maxwell's Silver Hammer" est ce que John Lennon appelait avec moquerie une "chanson de grand-mère" ; heureusement que la puissante "Oh Darling" rattrape le coup. Non, Paul n'est pas mort comme le prétendait une rumeur de l'époque, mais Abbey Road n'est qu'une demi-réussite pour lui.
John Lennon, en revanche, nous livre de très belles compositions : le groovy "Come Together", la planante "Because" qui est un manifeste psyché d'émerveillement devant les miracles de la nature, et surtout "I Want You (She's So Heavy)", long titre bluesy magnifié par le jeu d'orgue du collègue Billy Preston. Ringo Starr a lui aussi droit à son moment de gloire : l'entraînant "Octopus's Garden" n'est que sa deuxième composition retenue par le groupe pour un album, après "Don't Pass Me By", mais s'avère bougrement réussie. Les mauvaises langues diront que ce sont les trois autres Beatles, crédités chacun à 10 % dans la composition, qui ont eu les idées rendant exceptionnel ce morceau faussement infantile.
Cependant, si un Beatles s'élève au-dessus des autres sur cet album, c'est George Harrison. Déjà sur l'album blanc, il avait confirmé avec "While My Guitar Gently Weeps" qu'il était aussi doué que Lennon et McCartney. Sur Abbey Road, il les surpasse en deux compositions. "Here Comes the Sun" est la plus belle chanson sur le soleil jamais composée ; j'ai d'ailleurs écrit une chronique spécifique pour analyser la luminosité de ce titre (lien ci-dessous). Quant à "Something", c'est peut-être le plus beau morceau de toute l'oeuvre des Beatles. La cohabitation entre douceur et emballement, la justesse du solo de guitare, la subtilité des paroles en font une chanson d'amour bien plus profonde que leurs premières compositions.
Le projet de cet album naît dans un contexte de tensions entre les membres du groupe, dont on ne saurait attribuer de façon simpliste la cause à Yoko Ono alors que les disputes entre Lennon et McCartney portent souvent sur la direction artistique de leurs compositions. Abbey Road aurait pu ne jamais voir le jour si Paul McCartney n'avait pas pris l'initiative, si les autres membres du groupe n'y avaient pas mis de bonne volonté ou si George Martin ne les avait pas aidés. Les tensions perdurent pendant l'enregistrement et les Beatles se séparent peu après. Leurs carrières solo respectives prouveront qu'aucun d'eux n'avait dit son dernier mot.
Analyse de l'ensoleillement dans "Here Comes the Sun" :
http://www.senscritique.com/morceau/Here_Comes_the_Sun/critique/33656190
Chronique de Rubber Soul, meilleur album des Beatles d'après moi :
http://www.senscritique.com/album/Rubber_Soul/critique/33489563
Classement intégral des titres des Beatles :
http://www.senscritique.com/top/Les_meilleurs_titres_des_Beatles/862610