Cas unique pour un fan des Beatles, je n'aime pas Abbey Road. Et je dois vous l'avouer, j'en suis le premier gené. Je n'arrive pas à m'intégrer avec un tel handicap. En soirée, ou dans un bar, quand on me demande « c'est quoi l'album des Beatles que tu aimes le plus ? » quelle n'est pas ma confussion de devoir répondre Rubber Soul et esquiver, pathétiquement le sujet Abbey Road. Les verres se suivent, la conversation s'enchaine. Elle me parle de la fin, j'évoque Let it Be, elle me parle de la création du Medley, je parle de Please please me, elle me susurre un Come together, je demande « A Hard Day's Night ». Enfin, je ne peux plus fuir et j'avoue ne pas aimer Abbey Road. Et hop, la fille s'en va.
Fichtre, Paul, pourquoi n'as tu pas pensé à moi ? Pourquoi tu n'as pas forcé tes compères à faire un album que j'aimais ? Et surtout pourquoi je t'adore autant alors que je le sais que c'est George le meilleur d'entre vous ! Bref, on va éviter le sujet John car là, clairement, plus aucun fan ne pourra me défendre.
Abbey Road est, comme chacun le sait, le dernier enregistrement des Beatles mais l'avant dernier disque à sortir. De l'aveu même du groupe, c'est une très bonne fin, surtout après un Let it be qui les a laissé amères. Or, petit soucis … J'aime Let it be que je considère comme excellent (mais là encore c'est pas ma faute, c'est celle de George).
Donc, pourquoi je n'aime pas cet album dont la pochette est responsable de 30% des « références aux Beatles » (au moins) ? Et bien, la raison est tellement bête que je pense qu'elle va en surprendre plus d'un : je n'aime pas les morceaux.
J'avoue qu'au-delà de la technique, de la beauté du son, de la réflexion, de la volonté d'un projet unifié, au-delà de tous ses éléments que je trouve nécessaire pour transformer l'essai. Au-delà de tous ces points si importants, la base est quand même d'aimer les morceaux. Ce qui n'est absolument pas mon cas avec Abbey Road.
Enfaite, je crois bien qu'Abbey Road a le plus gros concentré de morceaux qui m'ennuient. Something par exemple, bon, ok je reconnais que la ligne de basse est assez charmante (cela dit, en 1969, on a déjà vu largement mieux), et certes, il y a ce côté un peu cotonneux et chatoyant très plaisant. Il y a ces envolés, bref, il y a de bonnes idées, mais l'ensemble reste peu efficace pour moi car très répétitif.
J'ai dit répétitif ? Ha désolé je voulais dire I want you … Presque 8 minutes interminablement répétitives. Bon, faut avouer que musicalement c'est bon. La basse est excellente, l'orgue des refrains est excellent. Le chant est parfait, la guitare est des plus réussie. Mais le délire de tourner en cercle de Lennon pour une simplification ultime peut amuser mais est, définitivement, indigne d'un artiste véritable quand c'est réalisée de cette façon. L'objectif est peut être bon, le résultat a tué le morceau. Ce titre aurait pu s'appeler « Manifeste de Lennon » tant cela m'apparaît comme une annonce artistique que comme un véritable morceau. On a donc le droit aux mêmes riffs qui se répètent en boucle. Je ne peux m'empêcher en écoutant ce titre de penser aux groupes d'ados que je vois parfois en concert et font des morceaux de 5 minutes avec deux riffs … Non, c'est répétitif et malgré toute la beauté musicale des passages, ça ne peut que lasser et artistiquement la volonté n'est pas assez aboutie.
Here comes the Sun est un morceau pas mal du tout (en même temps Harrison) qui, cependant, n'a commencé à me plaire qu'à partir du moment où je l'ai retiré de l'album. En effet, à mon sens son côté doux bien que très plaisant (et contrastant avec I want you) n'était pas forcément à son avantage vis-à-vis des autres tristes déjà très calmes. De plus, je trouve une forme de simplicité (superficielle pourtant) qui n'arrive pas à me convaincre totalement.
Here comes the Sun est un bon morceau, c'est indéniable, et pourtant, même Harrison ne parvient pas à me séduire.
Vous allez me dire que pourtant, il y a Come Together, si ça ce n'est pas une totale réussite. Qu'on se mette d'accord tout de suite : Come Together justifierait à lui-seule une carrière musicale. Tout est parfait dans ce titre (sauf peut être les paroles mais passons). La ligne de basse, la batterie, la guitare, le chant, les choeurs, la progression, la structure... Tout est nickel.
Come Together c'est du bon Beatles, du grand Beatles. C'est un titre qui fait sens, qui est déjà bon tout seul mais qui, arrivé à ce moment de la carrière des Beatles, montre encore tout le potentiel créateur du groupe.
Come Together souffre de sa célébrité du coup. J'ai entendu le morceau un million de fois depuis ma naissance et de ce fait je ne l'aime pas autant que je devrais. Du coup, ça ne fausse pas mon jugement, car je suis le premier à reconnaître le génie qui se dégage de ce titre. Mais, le soucis c'est que ce n'est pas un morceau coup de cœur qui me permettrait de sauver l'album. Et pourtant, Dieu sait que ce titre est grandiose. Je me rappelle qu'à chaque fois, la guitare de Harrison m'émoustille grandement.
Autre titre très connu et qui, pour le coup, m'éclate : Octopus's Garden. Déjà quand Ringo chante, c'est souvent un moment important de l'album. Non mais c'est vrai, on oublie trop souvent qu'il avait tendance à chanter UN méga gros titre. Bon ok, pas un tube (à l'exception de Revolver) mais généralement un morceau très très appréciable et assez différent du reste de l'album.
Dans la droite ligne de Yellow Submarine qui l'a fait connaître au chant, Ringo compose un titre assez simpliste, amusant, et pourtant qui ne cache pas toute sa frustration envers le groupe (un peu comme Harrison avec Here comes the Sun). Entrainant avec un succès fou il s'agit, sans aucun doute, de mon morceau préféré de l'album.
Face à lui je suis forcé de comparer Maxwell's Silver Hammer. La légende voudrait que Paul ait voulu en faire un single. Lennon s'est en tout cas totalement opposé au titre et n'a même pas participé à l'enregistrement. Il faut dire que malgré les synthétiseurs le morceau peine à convaincre. Répétitif et mollasson, son côté « chant pour enfant » dans l'air (pas les paroles hein) ne peut pas du tout tenir la comparaison avec les autres chants pour enfants créés par les Beatles.
L'idée derrière, la profondeur des paroles est cependant très intéressante mais musicalement, le morceau n'est pas assez entrainant et malgré la volonté de faire planer au niveau des refrains, les couplets manquent d'une vie rythmée pour arriver à séduire totalement. Il me semble évident que, bien qu'on puisse aimer le morceau, on doit reconnaître un certain flair à John sur cette histoire.
Oh ! Darling pour sa part revient à un aspect plus normal. Trop normal même. Le morceau est du pur pop rock de petite soirée. Pas très inventif pour le coup. On a du mal à croire que ça sorte de cette période des Beatles tant ça aurait pu être fait avant 65. Sachant qu'à ce moment là de l'album on est après un Maxwell manquant de vie sur les couplets et un Something très calme, on aurait donc apprécier un morceau ayant une véritable âme.
Because se fait remarquer par son énorme travail sur la voix (et son clavecin reconnaissons le). Malheureusement bien que techniquement impressionnant je suis à peu près certains que plus des 2 tiers des gens n'aimeront pas écouter ça. On est dans un travail purement artistique et non pas quelque chose de purement musical. Attention, je ne dis nullement que le morceau est mauvais, raté, ou quoique ce soit. Au contraire, il est, dans son sens, surement la piste la plus réussie d'Abbey Road. Malheureusement, c'est le genre de morceau (cosmique) qu'on n'apprécie que si il est encadré d'autres pistes qu'on apprécie également. Ce qui n'est pas le cas. J'écoute Because en-dehors d'Abbey Road, pas dedans. Car dans ce cas, je ne l'aime pas.
Puis vient l'énorme Medley. L'idée est originale : 8 morceaux des Beatles à la suite comme formant une sorte de tout unifié même si on peut plus que douter de la prétendue unité. Le but est de ne rien perdre du travail des Beatles. J'avoue ne pas voir trop l'intérêt. Lennon aurait peu accroché à l'idée et quelque part je le comprends. Le projet est ambitieux mais quelle est l'idée derrière ? Pas sur que John l'ait vu, et là encore je suis de son côté, moi non plus.
Certes, c'est loin d'être mauvais. You never give me your Money aurait d'ailleurs mérité une parution à part tant le titre est sympa, sans qu'il soit exceptionnel pour autant. J'ai d'ailleurs tendance à imaginer que ce n'est même pas un morceau du Medley tant il est long et suffisant par lui-même. Les riffs sont très différents et on sent une influence des Yardbirds dans le dernier quart du titre. Difficile de penser que le tout jeune groupe Led Zeppelin n'ait pas influencé les Beatles pour la fin de ce morceau.
You never give me your Money se suffit tellement à lui-même que la coupure avec Sun King se fait entendre. Très calme et planant, je ne peux que regretter de comparer ce morceau aux autres titres doux de l'album tant Sun King démarre avec une plus belle beauté (oui, j'ose le pléonasme).
Arrive ensuite Mean Mr. Mustard qui, pour le coup, suit de manière assez réussie. Mais une minute ne suffit pas à cacher le peu d'inspiration véritable du titre.
Polythene Pam fait immédiatement suite avec la première transition vraiment réussie entre deux morceaux du Medley. Pour le coup on se sent embarqué à bord d'un train qu'on ne peut plus quitter. Dommage d'avoir du attendre si longtemps pour que le Medley fasse effet. Là encore c'est très rapide mais c'est tant mieux, car c'est véritablement ce que demande ce genre de projet.
She Came in Through the Bathroom Window a également le droit à un enchainement totalement réussi. La guitare de Harrison fait encore merveille (comme la batterie de Ringo, faut-il le préciser). Musicalement c'est bon et le message derrière est assez drôle et sympa. C'est clairement un des temps forts du Medley.
Le morceau suivant, Golden Slumbers ne s'enchaine absolument pas mais a bien le droit à une pause. Le titre est une petite balade au piano à la Paul, guère intéressant en soi, le titre permet surtout un enchainement efficace et sans difficulté avec Carry that Weight. Excellente chanson qui aurait permis de mettre ce Medley dans quelque chose de vraiment bon si les transitions avaient toutes étaient réussies. En effet, Carry that Weight renvoie à You never give me your Money que ça soit sur le sujet (l'exaspération des questions financières) ou sur l'ère musicale très proche.
Finalement le Medley se termine par The End qui s'enchaine directement mais avec une semi-coupure. Là encore le son rock est très présent et on ne peut s'empêcher d'y voir une annonce de Led Zeppelin qui commence leur carrière à ce même moment. Ne serait-ce que par ce solo de batterie imposé à Ringo par ses comparses. Puis les 3 solos de guitares entremêlés des autres membres … Pur génie ! Les fans s'amuseront à reconnaître la personnalité de chacun. Une des meilleures sessions d'enregistrement des Beatles. Cet ultime titre des Beatles est une merveilleuse façon de terminer l'aventure Beatles, rappelant que l'amour que l'on prend est égal à l'amour que l'on donne. Magnifique !
Dernière touche avec Her Majesty, premier titre caché, grâce à une idée audacieuse de John Kurlander, l'ingé son. C'est un peu le hasard qui est responsable de cela. Le titre est court, pas fou du tout, petit morceau à la guitare par Paul, c'est tellement drôle de finir là-dessus, avec cette chanson faussement caché que ça représente bien une autre part de l'esprit des Beatles, qu'il aurait été dommage d'oublier.
En dernière instance, je pense qu'on aura compris pourquoi je n'aime pas Abbey Road. Come Together est incroyable mais ne me fait pas vibrer comme d'autres tubes, Octopus's Garden est très très sympa malgré son côté comique et Here comes the Sun est une bonne production made in Harrison. Pour le reste, malgré des idées audacieuses et intéressantes, j'ai été très peu touchée. Un peu comme le Medley qui a vraiment des moments de génie, mais je ne peux m'empêcher de voir cela comme un ensemble et chaque coupure et pour moi une erreur impardonnable.
Même si The End clôture tellement merveilleusement bien que seule l'ironique Her Majesty peut offrir une fin conséquente. Sans nul doute un disque émouvant, mais, musicalement, trop décevant pour moi sur bien des points pour que j'aime cet album. Alors je le met de côté uniquement pour son Medley.