Après le magistral Origin of Symmetry, qui avait apporté un vent de fraîcheur dans le rock alternatif, Muse était attendu au tournant. Absolution réussit l’exploit de maintenir (presque) le niveau sans passer pour une redite. Bien qu’un peu moins subtil, c’est un disque plus noir et plus puissant que son prédécesseur. La mégalomanie a laissé la place à la folie, et l’espoir n’est plus recherché que pour lui-même. L’album a été influencé en partie par le déclenchement de la guerre en Irak, ce qui peut expliquer son ambiance malsaine.
Le ton est donné dès « Apocalypse Please », avec son piano extrêmement lourd, suivi du chant déchiré et claustrophobique de Matthew Bellamy. « This is the end of the world », clame-t-il au milieu d’un paysage instrumental d’une densité stupéfiante. Rarement Muse aura été aussi… lui-même, c’est-à-dire d’une grandiloquence si eschatologique, sans que cela frise l’auto-caricature de mauvais goût.
Une formation trio, cela peut paraître peu pour un groupe avec de telles prétentions. Surtout que si vous enlevez un batteur (Dominique Howard) et un bassiste (Chris Wolstenholme), il ne reste qu’un seul homme pour assurer tout ce qui n’est pas « section rythmique : en l’occurrence, principalement le chant, la guitare et le piano. Chez cette formation du Devon, deux raisons très simples font que cela fonctionne parfaitement. Premièrement, Dom et Chris sont des musiciens accomplis et deux acolytes de choix, capables d’apporter leur grain de sel sans vouloir prendre trop de place. Deuxièmement, Matt est un compositeur de génie doublé d’un interprète exceptionnel à tous points de vue. Ses riffs et solos de guitare saturée sont aussi saisissants que ses envolées lyriques. Le seul petit défaut par où il pêche un peu, ce sont les paroles, encore que sur Absolution cela ne s’entende pas trop.
Muse offre ainsi des purs morceaux de rock jouissif dont lui seul a la recette. Trois morceaux en particulier sont explosifs : « Hysteria » avec sa ligne de basse monstrueuse, « Stockholm Syndrome » dont la montée d’orgue sur les refrains donne des frissons, et « The Small Print », moins connue que les deux autres mais dont le riff de guitare vaut également son pesant en décibels. D’autres morceaux flirtent posément avec la balade tout en présentant eux aussi une certaine tendance à l’emportement, comme le rêveur « Sing for Absolution » - l’un des plus beaux titres de tout le répertoire de Muse - ou « Falling Away With You », dont la dimension romantique est plus clairement appuyée.
Sur d’autres morceaux, comme le tube « Time is Running Out » ou dans une moindre mesure « Thoughts of a Dying Atheist », on sent que le groupe s’approprie des codes un peu plus pop qui, à partir de l’album suivant Black Holes and Revelations, donnera lieu à des morceaux franchement commerciaux. Ici ce n’est pas encore le cas : Absolution est le dernier album de Muse qui ne soit pas gâché par un ou plusieurs titres bons à jeter. « Time is Running Out » reste un morceau très original notamment sur ses couplets minimalistes rythmés par des claquements de doigts. « Thoughts of a Dying Atheist », de son côté, fait entendre des effets de guitare électrique qui n’ont rien de consensuel. Le final « Ruled by Secrecy » est par ailleurs un titre un peu plus faible que les autres, mais il n’est pas pour autant désagréable : sa promesse d’évasion ne semble pas tenue, c’est tout.
Matthew Bellamy continue d’innover, notamment en donnant des suites à sa passion pour la musique classique de la période romantique. Cette influence est plus manifeste que sur Origin of Symmetry : ainsi, sur le morceau d’obédience progressive « Butterflies and Hurricanes », Matt utilise des violons et interprète un magnifique solo de piano inspiré de Rachmaninov. Sur le languissant « Blackout », c’est tout un orchestre de 18 instruments qui s’ajoute, ce qui en fait l’un des titres les plus atypiques du groupe à l’époque. Les sonorités électroniques font également leur apparition avec « Endlessy », qui elle aussi, passe à l’époque pour un OVNI dans le répertoire du trio. Cette tendance « classique » tout comme cette tendance « électronique » seront développées par la suite et même mélangées à l’occasion.