Alicia Keys est l'une des plus illustres chanteuses américaines de l'histoire de la musique récente, elle représente un brin de traditionalisme dans la musique pop et R&B grand public - propulsée, en partie, par son émergence au plus fort du mouvement néo-soul de la fin des années 90.
Alicia Keys est un mélange déroutant. D'une part, elle est multi-casquette, multi-platine, multi-gagnante de Grammys ou autres récompenses, toujours tout sourire, ultra sincère et positive. Elle est une vraie chanteuse qui sait chanter avec émotion et technique.
Une des artistes préférés des candidats aux concours de talents.
De l'autre, c'est une artiste indéniablement intéressante à plusieurs niveaux.
Solo ou avec son mari Swizz Beats, elle est une auteure, compositrice et productrice talentueuse et prolifique pour les autres ainsi que pour elle-même.
Et elle a été une artiste politique vocalement et lucidement et elle a défendu non seulement les droits des minorités, mais aussi a fait beaucoup pour rendre visibles les réalités de la vie des Noirs dès le début: sa performance de 2002 (échantillonnage de Fela Kuti) sur "Warrior Song" de Nas est extraordinaire, par exemple.
Reste à voir où "Alicia", le dernier album studio de la chanteuse, s'inscrit dans le large spectre de sa carrière.
Un Patchwork de pop orchestrale, de soul acoustique et de R&B contemporain, c'est moins une révélation et plus une réaffirmation de l'identité de la chanteuse, rappelant les sons du passé avec un œil à demi ouvert sur l'avenir.
"Truth Without Love", le morceau d'ouverture de l'album, nous propose une thèse pour le reste de l'album, mettant le décor sur un crescendo de cordes et de touches de piano vrombissantes.
Comme un rappel de sa persévérance, "Truth Without Love" encadre le reste de l'album comme un croquis composite de la discographie d'Alicia Keys, gravant ses contours dans le funk lent et élégant de "Time Machine" , le "Gramercy Park" imprégné de country, et la pop motivante de "Underdog" et "Good Job".
Les moments les plus énigmatiques d' Alicia se manifestent dans ses collaborations, la chanteuse recrutant des personnalités issues des différentes niches stylistiques du R&B.
Le Chef-d'œuvre, "3 Hour Drive", mettant en vedette le chanteur soul britannique Sampha, est un morceau particulier, avec les deux artistes échangeant des baisers sur un fond brumeux et nocturne: “I can’t deny / As hard as I try / That you give me life / You give me life”. La simplicité contagieuse de la chanson est également équilibrée par la mélancolie discrète et dévastatrice de "You Save Me", un duo avec les la sublime suédoise Snoh Alegra: “And if I could stay / I’ll stay here forever / And if I could be here, we’ll be here together”.
Ailleurs, Keys s'envole sur le "Show Me Love" assisté de Miguel et invite la grande Jill Scott pour un fantastique moment. L'étonnant "Me x 7", mettant en vedette l'avant-gardiste hip-hop Tierra Whack , nous fait timidement bouger les épaules.
Keys demeure poignante avec l'aide de Khalid sur le slow jam "So Done" avec une déclaration d'indépendance brutale : "I’m living the way I want".
Une telle déclaration capture l'essence ultime de l'album.
La clôture d'ALICIA avec "Good Job" dans laquelle elle fait des merveilles avec simplement sa voix et un piano, nous laisse le cœur lourd, très lourd.
Réitérant et célébrant l'identité de la chanteuse sans se soucier des pressions trop communes sur les chanteuses en fin de carrière, Alicia offre à ses auditeurs le microcosme ultime de sa discographie, se repositionnant comme une force qu'il faut absolument compter dans le paysage musical d'aujourd'hui.
"ALICIA" est un très bel album qui équilibre l'attrait hyper grand public avec des détournements très intéressants. On sait, à l'écoute de l'album que le but est de plaire au plus grand nombre d'auditeurs possible mais il y a au moins aucun doute sur l'intention de l'artiste de guérir et de s'élever, et elle l'exprime avec l'une des voix les plus fortes aujourd'hui.
7/10