[...] « Breaker Of Worlds », le titre d'ouverture, donne tout de suite le ton. Coup de pied à l'estomac à la sauce No Future apocalyptique. Une ambiance pesante, écrasante même, une voix féminine d'apparence fadasse de par un timbre plus grave et par conséquent très éloigné des standards du goth/sympho à chanteuse et pourtant techniquement maîtrisée avec un certain brio dès lors que l'on s'y focalise, une succession de breaks totalement incongrus laissant place à une évolution d'une énergie épique vertigineuse typée montagnes russes... Pas de doutes, Madder Mortem s'amuse de nous en se la jouant tordu. Une singularité de prime abord déroutante puis géniale une fois digérée. Déroutant par ses manières très solennelles, à des années lumières du second degré délirant nawakien, donnant presque l'impression que le groupe lorgne son auditorat avec une insolente condescendance. Géniale car une fois toute cette mixture fortement alambiquée qui ne ressemble à rien de connu encaissée, on se prend à apprécier ces breaks, ces rythmiques polymorphes lorgnant parfois presque vers ceux que l'on retrouverait dans le jazz, cette alternance (voire superposition) entre mélodies vocales et dissonances de la musique, tout particulièrement des cordes... C'est bien simple : plus les Norvégiens tendent à nous perdre dans nos repères, à jouer avec les contrastes, souvent exagérément, parfois même avec une théâtralité presque excessive, plus l'intensité est forte et marquante. Il suffit d'entendre les montées en puissance opérées dans un « Breaker Of Worlds » (ce dernier refrain vocalement doublé, juste épique !), l'emballement martial de la machine en plein cœur de « Turn The War On » pour mieux décroître inopinément et brusquement tel un freinage d'urgence, le refrain hyper catchy à la limite de l'accessible de « Ten Times Defeat » intervenant entre des couplets aux plans rythmiques saccadés très jazzy pour comprendre là où le combo veut en venir. Jouer sur les contradictions musicales au sein d'une même pièce et ainsi noyer le poisson afin de marquer d'autant plus l'auditeur sur l'élément qu'il souhaite mettre en avant tellement celui-ci se détache du lot. Une approche très progressive dans sa forme la plus théorique. « Traitor's Mark » qui ferme les hostilités ne fait que confirmer en apothéose cette étiquette à poser toutefois avec beaucoup de précautions tant elle se révèle réductrice : un final dantesque et théâtral, tant sur son côté épique que visuel qui mérite à lui seul que l'on se penche sur le cas d'All Flesh Is Grass.


Car cette monture de 2001 pose toutes les fondations du style Madder Mortem, même si le côté très doom de celle-ci sera par la suite mis plus en retrait, voire totalement évincé. Des éléments, procédés techniques qui font pleinement partie de l'identité singulière des Norvégiens et que l'on retrouvera à plus ou moins grande échelle dans la suite de leur discographie. Malgré tout, All Flesh Is Grass s'en détache un peu par son côté juvénile. Même si les bougres font déjà preuve d'une étonnante maîtrise et habileté, il n'en demeure pas moins qu'elle est vomie ici sous sa forme la plus fondamentale avec la fougue ardente de jeunes loups talentueux qui cherchent encore à la canaliser. Ce qui sera fait avec Deadlands deux ans plus tard, puis avec le génial Desiderata en 2006 qui enfoncera d'autant plus le clou avec maestria. Malgré tout, même si ce côté adolescent pourrait le desservir tant All Flesh Is Grass passe du coq à l'âne abruptement et peut parfois se révéler difficile à suivre, il y a quelque chose en lui de touchant. Un petit truc inexplicable qui fait qu'on l'affectionne, peut-être même davantage que d'autres offrandes pourtant plus matures et abouties. Peut-être que le recul et le poids des années n'y sont pas étrangers.


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Margoth
9
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le 13 mars 2017

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Margoth

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