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Que de chemin parcouru pour Ezra Furman, tout particulièrement depuis 2019 et la sortie de Twelve Nudes, sa dernière livraison avant celle qui nous intéresse aujourd’hui. L’interprète de "I wanna be Your Girlfriend", dont le coming-out trans en 2021 avait rendu ce titre prophétique, s’était forgée une nouvelle notoriété via la bande-son de Sex Education pour Netflix, fignolant son alliage d’indie rock éthéré, de paillettes pop et de rugosité post-glam. Comme un rejeton illégitime des Pixies et de Marc Bolan qui fantasmerait sur le Velvet Undergound, Dylan et les girl groups des fifties, Furman continue de tracer une route improbable et surprenante, n’hésitant pas à faire de ses obsessions des récurrences, comme pour confirmer que son bagage est toujours le même malgré la diversité des panoramas traversés. La métaphore de la fuite vers l’avant n’est pas dénuée d’intérêt quand All Of Us Flames s’ouvre avec une chanson intitulée "Train Comes Through", sur laquelle la voix d’Ezra s’élève avec une urgence majestueuse sur un lit de guitares, de piano et de cordes qui roulent et vrombissent comme une gigantesque locomotive baroque. Les paroles peignent un paysage de désolation urbaine, sorte de piège à prolétaires Springsteenesque plombé par l’angoisse de Lou Reed, mais traversé par la rumeur d’un changement à venir et que l’on espère aussi lumineux que possible tant la chape de spleen fait plier les genoux.
Forte de sa production sonore la plus luxuriante à ce jour, Ezra se livre à des jeux de nuances d’une grande fluidité et presque systématiquement couronnés de succès, comme en atteste le superbe "Forever in Sunset", l’un des singles qui avaient annoncé cette nouvelle sortie. La chanson débute par un minimalisme trompeur couplé à ce phrasé vocal distendu qui avait fait les grandes heures de Brian Molko, avant d’exploser sous la poussée de guitares lo-fi et d’arrangements cinématiques en diable, tirant les couplets mélancoliques vers un refrain qui sonne comme une revendication de liberté totale. "Throne" rue dans les paillettes comme les New York Dolls en version fanfare de cabaret et se révèle convainquant malgré son final abrupt. "Dressed in Black" devrait faire prendre quelques notes à Kyle Craft et "Book of Our Names", génial petit hymne folk rock écrit pour tous les opprimés, enfouit les sons du passé (guitare acoustique, piano) dans des bidouillages synthétiques qui ne sont pas sans évoquer les prouesses de Perfume Genius. "Point Me Toward The Real" transforme la fragilité en force par le pouvoir alchimique de la soul, généreusement servie en cordes et en cuivres. Les accords débraillés de "Lilac and Black" grincent comme si les Pixies avaient piraté le E Street Band, et "Ally Sheedy in the Breakfast Club" prouve qu’Ezra sait souvent voir grand en visant petit, déroulant une rêverie télévisuelle au grain flouté par les larmes et la nostalgie. "Poor Girl a Long Way From Heaven", autre single récemment mis sur orbite, pousse un peu plus loin les curseurs synthétiques. Les guitares s’y noient docilement dans la luminescence des arrangements vocaux, contrastant avec un texte à la noirceur à peine tempérée par la promesse de tout l’amour du monde… à condition de casser sa pipe d’abord. On a rien sans rien, manifestement. "Temple of Broken Dreams" est l’un des plus jolis textes d’Ezra, servi avec brio par l’élégance anxieuse de sa voix. "I Saw the Truth Undressing" suit une structure plus académique et aérée, pouvant rappeler Future Islands avec toutefois moins de bonheur dans l’exécution vocale, marquant le point où le maniérisme du phrasé d’Ezra peut devenir l’une de ses limites. "Come Close" clôt l’écoute en douceur, comme un album photo embué de larmes, de salive et autres fluides corporels voués à laisser une trace douce mais indélébile. A l’image de ce nouvel album habité, inspiré, inquiet et majestueux à la fois, qui confirme le statut d’Ezra Furman comme l’une des artistes les plus singulières des quinze dernières années, animée par une vision ambitieuse et désormais pleinement à sa portée.
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Créée
le 31 août 2022
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