Il était une fois deux BFFs, Sophie et Agatha. Sophie est blonde et diaphane, elle vit dans le placard sur l'escalier chez sa belle-mère qui la fait trimer comme souillon à l'usine. Agatha est brune, vaguement gothique, sa maman touille des potions et les autres gosses du village la traitent de sorcière. Ce n'est pas un stéréotype, c'est un fait.
Un jour que Sophie assomme d'un coup de poêle un poivrot du coin qui voulait cramer sa pote, elle décide que ça serait mieux de vivre en internat. Elle écrit une lettre de candidature pour un lycée magique et glisse l'enveloppe dans un arbre. Son dossier est vraisemblablement accepté, puisqu'un vautour zombie géant débarque immédiatement pour la kidnapper. Agatha s'agrippe au pied de sa bestie et le gros piaf les balance dans deux classes différentes. Sophie atterrit dans l'eau froide chez les méchants, qui la persécutent parce qu'elle est... blonde ? Non, puisqu'elle n'est pas la seule dans sa promo. Parce qu'elle est gentille ? Non plus, puisqu'elle n'est pas si gentille que ça. Bref, on s'en fout, c'est pour créer du drama. Agatha atterrit dans les fleurs chez les princesses qui la persécutent parce qu'elle est... noire ? Non, puisqu'elle n'est pas la seule dans sa promo. Parce qu'elle est méchante ? Non plus, puisqu'elle ne l'est pas, justement. Bref, balec balec, drama drama.
Elles commencent à traîner avec, en vrac, le fils du Capitaine Crochet (ça n'aura jamais d'influence dans le récit), la fille de la sorcière de Blanche-Neige (aucune influence non plus), la fille du Shérif de Nottingham (non plus) et le fils du roi Arthur, nommé..... Tedros (ne riez pas, c'est un vrai prénom, visiblement). Tedros est vraiment très, très con. Mais vu que c'est le cas pour la quasi-totalité des personnages, ça ne choque pas des masses. Le moins con est Gregor, un genre de sous-Ron Weasley peu charismatique. C'est le fils de Prince Charmant (c'est apparemment le vrai nom du gars), mais il rêve d'ouvrir une épicerie parce qu’il est timide, roux, maigrichon, pas très sûr de lui et qu’il aime pas faire du poney. Ce n’est pas un stéréotype, c’est un fait. Son rêve de vendre des laitues et des cure-dents tourne court quand il est transformé en vautour zombie géant après trois mauvaises notes. Fils de prince ou pas, c'est comme ça. Soit t’es bon, soit tu perds ton humanité. Agatha est tristoune parce qu’il ont eu deux dialogues vaguement polis jusque là, ce qui fait d’eux des amis loyaux et fidèles. Et finalement, Gregor le vautour zombie géant meurt, assassiné par Tedros. Mais c'est pas grave. Pas parce qu'il ressuscite (on entendra plus jamais parler de lui), mais parce que Tedros a quand même le cœur pur. La preuve, ses flèches volent droit. Comme dit le proverbe, « nul n’est besoin de blâmer le preux bro qui trucide sans réfléchir, tant qu’il pissoie bien droit ». Et puis, c'est un prince, un vrai, avec des muscles, des épaulettes et une épée. Son rôle, c'est de servir les demoiselles en détresse, même si elles n'en ont pas besoin et que ça implique de buter un ancien camarade de classe (qui bosse pour l'école comme navette d'internat, accessoirement) sans aucune arrière-pensée. Ce n'est un pas stéréotype, c'est un fait.
Sophie aimerait bien rouler une pelle à Tedros pour avoir un true love’s kiss et intégrer la promo des princesses. Du coup, elle pactise avec le fantôme du frère de Dumbledore pour devenir une bad bitch et elle fait un power walk avec une nouvelle coupe de cheveux sur une chanson de Billie Eilish. Et surtout, elle décide de fomenter un coup d’Etat pour renverser les valeurs de l’école, dont la discrimination est vraiment honteuse. La promo du Bien est composée majoritairement de princesses Instagrameuses insupportables et de princes teubés. La promo du Mal, quant à elle, est majoritairement composée de sorcières Instagrameuses insupportables et de sorciers teubés. Une différence insupportable qu’il faut à tout prix inverser, en échangeant les couleurs d'uniformes. Logique.
Bien entendu, les deux promos n’ont absolument PAS LE DROIT de fraterniser. À part quand les élèves mangent ensemble dans le réfectoire, dont la déco est pompée sur la Grande Salle de Poudlard. Ou quand ils flirtent dans les couloirs. Ou quand ils se pourrissent pendant les sessions de tir à l’arc. Ou quand ils se croisent en se donnant des coups de clavicules pour s’intimider. Ce qui reste dangereux, parce que les pions sont des loups en armures qui jouent du piano et des fées sous crack qui font les gros yeux. La promo du Bien a des cours de beauté pour apprendre à sourire, et la promo du Mal a des cours de mocheté. Forcément, ça doit être un peu plus difficile pour eux, étant donné que les deux promos ne regroupent presque que des physiques de mannequins professionnels. La discrimination est peut-être là, dans le niveau de difficulté au programme entre les deux filières. Mais bon, c’est un prix à payer, puisque seuls les gens laids peuvent vraiment être malfaisants, c’est bien connu. Ce n’est pas un stéréotype, c’est un fait. Plus on est beau, plus on est bon ; plus on est moche, plus on est méchant. C’est d’ailleurs pour ça que la prof principale du Mal est jouée par Charlize Theron. Dans sa quête de puissance, Sophie devient donc très moche et très vieille, puisqu'il vaut mieux avoir un faux nez et des rides en latex pour être malfaisante. Autrement, on risquerait de confondre les méchants et les gentils, vu que tout le monde est insupportable. Par contre, quand ça se tape dans la salle commune, Sophie redevient jeune et belle, parce qu’un nez crochu, c’est quand même pas très pratique pour les pirouettes en slow-motion. Maintenant qu’elle est à nouveau regardable sans saigner du cristallin, le frère de Dumbledore lui explique qu’il est son true love et lui roule un gros kiss, obtenant au passage des cicatrices lumineuses partout sur la face. Un moyen comme un autre de marquer les sorciers immortels qui galochent des lycéennes.
Le soleil devient vert fluo, la façade de l'école pisse du sang numérique et Sophie se sacrifie pour sauver Agatha. Elle est transpercée en plein cœur par Cate Blanchett dans le rôle d'une plume géante qui est aussi la voix off du film. Mais Agatha fait un bisou à Sophie et elle revit, parce qu’il s’avère que c’est un true love’s kiss. Mais elles sont pas lesbiennes, hein, la voix off de la plume assassine nous précise bien qu'elles sont just friends. C’est ça, le vrai amour, mais pas vraiment, puisque c’est surtout de l’amitié totalement platonique. Ce n'est pas un stéréotype, c'est un fait. Face à la puissance de cet amour fusionnel qui est avant tout une relation amicale absolument pas ambiguë, les profs se rendent compte que les deux promos se connaissent, communiquent, et même, qu’elles sont dans la même école régie par un unique directeur. Incroyable. Putain. What a shock. Agatha roule une pelle à Tedros, montrant bien qu’elle n’est pas lesbienne, avant de rentrer au village avec sa bestie platonique complètement hétéro. Sur le chemin, les gamins du coin les traitent de sorcières et, histoire de prouver qu’ils ont tort, elles ensorcellent une meute de pigeons qui leur chient sur la gueule. Pif, paf, abracadabra, splotch, sploutch, bestie power instantané. Un stratagème discret, idéal pour ne pas se faire repérer dans un patelin où les paysans ont le bûcher facile. Mais ce retour triomphal et fienté est de courte de durée, car soudain… une flèche vole tout droit vers un arbre. C’est bien évidemment le cœur pur de Tedros qui appelle les deux amies platoniques absolument pas lesbiennes pour une suite qui, on l’espère, dépassera les trois heures, cette fois. Qui sait, peut-être même qu’elle aura un vrai scénario. L’univers tout entier retient son souffle. Ce n'est pas un stéréotype, c'est une blague.