Initialement repérée en préambule de ma séance de Decision To Leave, la bande-annonce de Vesper Chronicles était instantanément devenue l’une de mes favorites de l’année 2022. Sans pour autant avoir pu définir clairement mes attentes sur le contenu du film, j’étais curieux de découvrir ce qui m’avait tout l’air d’une proposition singulière, promettant le genre de conte post-apocalyptique que j’aurais juré sorti d’une éprouvette où l’on aurait mélangé la plupart de mes plus vieilles obsessions. Car s’il y a un cocktail dosé pour capter mon attention, c’est bien celui précipitant la science-fiction contemplative vers une imagerie surnaturelle. Néanmoins, la même séance m’avait aussi fait flasher sur la bande-annonce de To Kill A Beast, film qui, malgré ses qualités indéniables, s’était révélé nettement en-deça des espoirs que j’avais pu y projeter. Mon enthousiasme pour Vesper Chronicles était par conséquent tempéré de quelques nuances pragmatiques à l’approche de sa sortie en salles. La prudence, illustre daronne de toutes les vertus, avait-elle eu raison de me faire redouter une petite déception ?
La surprise de la réponse à cette question vous aura peut-être été gâchée par ma note attribuée au film, qui fait partie de mes coups de cœur personnels de 2022. Vesper Chronicles correspond trait pour trait à un profil d’œuvre qui n’échoue presque jamais à séduire mes sensibilités. Celui d’un film qui frustrera assurément les attentes de quelque chose de plus direct et traditionnel, mais charmera à coup sûr les spectateurs avides de nouvelles saveurs. Bien entendu, tout dépendra du poids que vous accorderez à l’esthétique du film, dont les décors en décrépitude et la nature quasi-silencieuse (les animaux ont pour la plupart été éradiqués) ne sont pas sans évoquer le Stalker de Tarkovsky (attention, pas de comparaison hâtive sur le fond, j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une parenté purement plastique) et dont l’imagerie convoque un folklore sorti des livres de contes à lire au coin du feu hivernal. On pourrait citer pêle-mêle une maisonnette à l’orée de la forêt, une princesse égarée dans les bois, d’étranges plantes dotées de conscience, mais surtout ces grands tableaux d’une campagne désolée aux moissons moribondes, parcourue de pèlerins encapuchonnés. De pures visions post-apocalyptiques, faisant cohabiter la science-fiction dystopique avec les réminiscences d’un Moyen Age de disette où l’on semait volontiers les gosses dans la forêt pour économiser sur les biscottes (Hansel, Gretel, Poucet et ses frangins, vous êtes appelés à la barre). Et bien sûr, une figure d’ogre incarnée ici par Eddie Marsan, dont chaque apparition véhicule une menace proprement glaçante. La jeune Raffiella Chapman, aperçue entre autres chez Burton pour Miss Peregrine, trouve quant à elle un excellent premier rôle, portant le film avec une intensité et une justesse des plus impressionnantes. Les tensions contradictoires de son personnage, à mi-chemin entre l’adolescente désireuse de crapahuter de par le monde et la survivante consciente de ses responsabilités avant tout autre ascendant, sont finement exploitées au fil d’un récit d'émancipation qui parvient à maximiser l'impact de son originalité visuelle.
Le film regorge de trouvailles à la fois inventives et riches en symboles, comme ce drone au visage gribouillé qui accompagne Vesper en tous lieux… car il s’agit de son père, dont le corps paralysé est cloué à un lit augmenté d’un poumon artificiel. La dualité des rôles de l’enfant et du parent, régulièrement permutés et subvertis, fait écho au brouillage des repères entre futur et passé, mais la réalisation n’en reste pas là. Le duo Buožytė/Samper, dont c’est le premier projet qu’il m’est donné d’expertiser, n’hésite pas à pousser les curseurs de son récit vers le merveilleux, quand l’héroïne découvre une jeune oligarque inanimée au milieu de la végétation vampirique des bois ; ou le thriller, lors d’une séquence de poursuite à travers cette même forêt, désormais plongée dans des ténèbres enfumées. Ajoutez à cela une partition orchestrale d’excellente facture et il ne reste plus qu’à se laisser porter par la mise en scène et la photographie, qui n’ont de cesse de proposer d’ambitieux alliages de saveurs. Cette audace demeure le plus souvent une force essentielle du film, qui ressemble à beaucoup de choses sans pour autant correspondre à une seule référence définissable. Ses influences très hétéroclites (pensez Asimov, Grimm et Cronenberg dans un shaker indé) tracent un improbable jeu de piste que j’ai pour ma part suivi avec une joie non-dissimulée. Mon ressenti à l’issue de la séance trouva d’ailleurs un écho dans la réaction de mes voisins de siège (un groupe de trois mecs qui m’avaient d’abord demandé de quel film il s’agissait, puisqu’ils l’avaient choisi au hasard à la place d’une séance de Bullet Train qu’ils avaient ratée de peu). L’un deux s’est exclamé « c’est pas parce qu’on a l’impression de pas tout comprendre qu’on a rien compris… Et puis je trouve que ça fait du bien, ça change de ce qu’on a l’habitude de voir ! » De quoi redonner foi en la capacité des spectateurs à appréhender de jolies curiosités. Si, comme moi, vous faites partie d'un public qui aime être surpris, emporté, perdu, retrouvé et égaré pour de bon en terre méconnue, il y a fort à parier que vous vous sentirez chez vous dans les sous-bois silencieux qui bordent le potager mutant de la jeune Vesper.