Premier album après 10 ans de silence radio et depuis le controversé Yanqui U.X.O. , Allelujah ! Don’t Bend ! Ascend ! reprend en partie des morceaux de 20 minutes créés et déjà interprétés en live avant leur hiatus, en l’occurrence Mladic et We Drift Like Worried Fire, qui s’appelaient auparavant Albanian et Gamelan, et accompagnés de deux morceaux plus cours avec une approche plus ambiante et bourdonnante, dans un style dark ambient.
Si ces morceaux ne sont certes pas nouveaux pour les fans hardcore du collectif canadien, leur production sonore surprend par rapport aux albums précédents, dans le sens ou elle est abrasive as fuck. Le crescendo qui tombe sur le thème de Mladic est une sorte de tempête sonore dans laquelle s’extirpe cette mélodie moyen-orientale avec une intensité hallucinatoire. Une sorte d’invitation à la révolution qui est on ne peut plus d’actualité. Et vu l’engagement politique latent dans la musique de Godspeed, on se doute de ce qui est évoqué à travers ces sonorités.
We Drift Like Worried Fire est probablement un des morceaux les plus optimistes créés par le groupe. Certes, on est très loin de la mélancolie déprimante mais tellement poétique qui se dégageait d’un Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven ! ou de la fin du monde décrite par Yanqui U.X.O., et s’il est déroutant au premier abord, il est une fontaine de lumière, notamment dans sa conclusion. Enfin, les deux morceaux drones, Their Helicopters’ Sing et Strung like Lights at Thee Printemps Erable, qui paraissent être du filler, sont de vraies plages surpuissantes. Si on connaissait l’attrait du groupe pour ce style là, ils en font une chose ahurissante, avec un sens de la texture sonore qui laisse rêveur. Pas évident, mais tellement puissant, une atmosphère chauffée à blanc.
Dans Allelujah ! …, Godspeed reprennent les choses où ils les ont laissées, et les remettent en place, signant un album vif, conscient et rageur. Un des plus rageurs, là où ils pourraient être plus contemplatifs et poétiques sur leurs albums précédents. Mais cet album n’est clairement pas sans saveur. Il en a une autre. Comme F#A# a la sienne, ou Yanqui, ou Lift Your Skinny Fists …, et c’est justice que de les revoir produire cette musique tellement nécessaire à notre époque.
Aussi, le fait qu’ils aient reçu le Polaris Prize cette année, prix récompensant le meilleur album indépendant au Canada, devant notamment deux autres superbes albums, le New History Warfare vol.3 de Colin Stetson ou l’album sans titre de METZ, n’est pas innocent. Ils méritent la reconnaissance que ce prix peut leur donner. Mais plus important encore, est la réponse du groupe, que je vous conseille de lire sur le site de Constellation Records. Pour résumer, Godspeed utilisera l’argent du prix (soit 10000 dollars canadiens) pour permettre aux prisonniers d’avoir accès à des instruments de musique, et critique l’aspect consumériste du gala du prix, qui il faut l’admettre, était assez ridicule. Et s’il est très gêné de devoir se plaindre alors qu’ils viennent de gagner un prix, le groupe campe clairement sur ses positions, pensant que l’argent dépensé pour organiser ce gala aurait pu servir à des choses plus intéressantes. Si vous le pouvez, lisez cette note, elle est juste merveilleuse dans la manière dont elle est écrite, et témoigne d’une grande intelligence. C’est limite rassurant.