Incroyable chef-d'oeuvre mésestimé

Non, non, je ne pèse pas mes mots. "American Life" est comme le bon vin, il se bonifie avec le temps délivrant une multitude de saveurs et acquérant, au fil des années, un indéniable prestige.
Pourtant sorti en 2003, l'album demeure une oeuvre résolument contemporaine tant sur le plan musical que politique.
Avec "American Life", Madonna parachève avec excellence le tournant électro dance entrepris lors de l'album "Music". Aussi, pour capter l'essence même de cette oeuvre, il est nécessaire de la replacer dans son contexte.
Dans une Amérique traumatisée par le terrorisme du début des années 2000 et où la pop s'aseptise et se lisse single après single (rappelons tout de même qu'en 2003, les meilleurs ventes de singles mondiaux sont détenues par R. Kelly, Sean Paul, 50 cents et en France par Chimène Badi, Lorie et Tragédie, c'est dire ?), Madonna jette un pavé dans la marre avec un album dont les contours, la forme et le contenu n'entre pas dans les standards en vigueur.
Gravement décrié par le public américain lors de sa sortie et moyennement apprécié par le public européen, "American Life" ne rencontre pas le succès escompté alors qu'il me semble être un opus emblématique et indissociable de l'oeuvre de Madonna.

A la fois provocatrice et businesswoman, l'artiste prouve d'abord qu'elle maitrise parfaitement son image et sa communication. L'autocensure du clip éponyme de l'album prouvera combien Madonna parvient à créer le buzz. D'ailleurs dix ans plus tard, la version censurée sera quasiment égalée par le nombre de vues sur youtube que la version épurée. Certains y verront un manque de courage et d'assurance dans la prise de position, d'autres affirmeront que l'autocensure du clip permettait une promotion assurée d'un album dont les ventes ne décollaient que très faiblement.

Pour ce qui est de la musique, "American Life" est savoureux, minimaliste et un brin avant-gardiste. Madonna produite par Mirways livre un mélange habile d'électro et de pop.
"Hollywood" au clip décapant reste une fabuleuse fable sur les travers d'un show-business puéril, verni et creux. Milieu dont Madonna fait partie, n'hésitant pas à miser sur l'autocritique et l'intelligente dérision de son personnage public.

Introspectif et analytique, l'album livre d'intenses ballades électro pop, folk parfois proche de l'enregistrement acoustique comme "X-static Process" ou "Nothing Fails", merveilleux conte électro, gospel porté par un ton pop juste et efficace. "Love profusion" est une pièce maîtresse de l'oeuvre : reposant et naïf, il apporte une candide douceur nécessaire à un album globalement plutôt sombre. "Intervention" termine cette quadrilogie de ballades (tantôt moroses tantôt joyeuses) avec une sonorité pop intimiste dont on pourrait croire qu'elle puise son inspiration de l'alternatif.

"American Life", c'est aussi une oeuvre aux différents visages et certains morceaux comme "Die Another Day" ou "I'm so Stupid" sont énervés et sans compromis dérivant quasiment sur de l'électro acoustique complètement assumé. En bref, des sons connus du milieu électro mais peu ou presque pas démocratisés à l'époque.

Voilà déjà quinze ans depuis la sortie de cet opus et je crois qu'il n'a pas pris une ride. Mieux encore, il reste indémodable et les dernières productions médiocres de Madonna permettent de réévaluer très positivement ce titre. "American Life" marque une rupture dans le personnage Madonna lui conférant légitimité et pouvoir de critique sur les évènements politiques et sociétaux de son époque. Bien loin d'une material girl avide de provocation sexuelle, l'artiste s'essaye à dénoncer ( dans une relative mesure)un contexte politique et social. A posséder impérativement.