Tel le phœnix, Crystal Castles renait de ses cendres. Alors qu’on croyait le groupe six pieds sous terre après la séparation musicale aussi invective que retentissante entre Alice Glass et Ethan Kath, le titre « Frail » avait étonné les plus sceptiques quant à la résurrection du monstrueux duo d’electro-punk. Partant bille en tête, Ethan Kath a toujours eu l’intention de continuer l’aventure Crystal Castles que cela soit avec ou sans Alice : pour lui, la musique avant tout. L’incandescence de leur tournée, cet abandon de soi dans leur art et leurs caractères ombrageux avaient eu raison de leur osmose tel un symbole de l’ADN même de Crystal Castles : une entité hybride et schizophrénique qui marche au bord du précipice. Et à la surprise générale, Crystal Castles prenait toujours la forme d’un duo, mais la brune mutante et désarticulée Alice Glass fut remplacée par la blonde et filiforme Edith Frances.
Titre dans la droite lignée de Crystal Castles avec ses secousses frénétiques, sa voix blanchâtre susurrée, ses beats monolithiques, « Frail » ne représentait en aucun cas une révolution dans le petit monde de Crystal Castles. Mais alors que le titre s’appréhendait comme un one hot, un petit plaisir « fan service », Amnesty sort de nulle part après quatre ans de silence et engendre la question tant attendue : où en est Crystal Castles ?
Disons-le tout de suite, Amnesty n’est en rien un énorme changement dans la vision sonore du duo et fouille un peu partout dans la discographie du groupe. Edith Frances dans sa démarche vocale suit les traces d’Alice Glass sans sombrer dans la caricature. A l’écoute de ce dernier album, il est évident que la violence oratoire n’est pas la même entre les deux femmes et une chanson comme « Doe Deer » parait inconcevable dans la peau d’Edith mais c’est en cohérence avec l’évolution du groupe qui se veut moins agressif.
Par contre cette dernière n’est pas qu’un clone, un physique qui remplace l’irremplaçable ni un nom sur une pochette : sa voix, sa présence se fait immédiate et si la folie presque suicidaire et hystérique d’Alice se mue en pop tourmentée et éthérée chez Edith, elle occupe parfaitement l’espace musicale des mélopées organiques de Crystal Castles comme en témoigne le turbulent « Concrete » et le fantomatique « Char ». Les vocalises de Crystal Castles sont plus ordinaires, sans être génériques mais le costume n’est pas trop large pour les frêles épaules d’une Edith Frances qui semble moins sortir des sentiers battus : son travail sur Amnesty ressemble à certains égards à la dénommée Grimes (« Their Kindness is Charade »).
D’ailleurs dans cette perception d’un envie plus pop dans la suite de l’aventure de Crystal Castles, il n’est pas anodin d’entendre « Kept », l’un des meilleurs titres de l’album faire danser à tue-tête et dodeliner des pieds sur un sample de Beach House. Sujet à nombreux débats et à d’innombrables comparaisons, le changement de chanteuse n’est pas une fin en soi car Ethan Kath continue à prendre le taureau par les cornes, à marteler ses synthétiseurs purulents et agite toujours autant ses ruptures rythmiques qui font la force de Crystal Castles : avec cette pop saccadée aussi intime que pachydermique dans ses modulations electro aguicheuse « Sadist ».
Amnesty est un furieux mélange entre le premier album et le troisième opus : une importance du matériel analogique dans la structure des mélodies accoudé au nuage gothique d’une Euro Dance 80’s cheap à souhait qui varie ses pulsations entre fracas aux chœurs robotiques et respiration atmosphérique plus immédiate qu’à l’accoutumée (« Ornament »). Sans atteindre la perfection écorchée vive et punk de leur deuxième effort, Crystal Castles n’est pas en ruine et garde intact ses fondations orgasmiques, fluidifie sa dimension émotionnelle entre musique de club et ambiance oppressante.
Amnesty ne prétend pas tout balayer d’un revers de main mais permet de garder en vie un groupe de taille : Crystal Castles fait du Crystal Castles avec cette nouvelle ode musicale entre la rage adolescente et le mauvais gout qui dégouline de partout : faire danser sur les affres électroniques (« Kept »), sentir ce rugissement du chaos pop (« Concrete », « Fleece ») se perdre dans une catharsis gothique indus désynchronisée (« Enth ») et se laisser succomber aux rêveries inconscientes et contemplatives down-tempo (« Femen »).