Originaire de Leeds et nommé d’après le raccourci clavier permettant d’accéder au signe Δ sur un Mac, alt-J a profondément bouleversé la grammaire de l’indie rock au début des années 2010. Ses deux premiers albums, An Awesome Wave (2012) et This Is All Yours (2014), sont des petits chefs d’œuvre bien à part dans le paysage musical actuel.
Si l’on devait adresser un seul compliment au groupe, ce pourrait être qu’ils sont l’un de ceux qui ont le mieux su renouveler la grâce contemplative héritée de Simon & Garfunkel. La structure atypique de l’album est rythmée par trois « interludes » d’une minute environ, et « (Interlude 1) » chanté a cappella apparaît presque comme une profession de foi de cette volonté de toucher l’auditeur par une simplicité miraculeuse, comme le faisait le duo de folk américain. On se croirait parfois dans une messe païenne, mais cette musique exhale quelque chose d’universel en nous reconnectant avec les éléments.
Dès lors, l’originalité d’alt-J est que cette exhalaison de pureté prend corps dans une texture qui reste celle de l’indie rock et non du folk. C’est sans doute cela qui explique qu’un rapprochement a pu être fait entre la musique d’alt-J et celle de Radiohead (période In Rainbows surtout), allant de pair avec quelques similitudes au niveau des sonorités, comme le son cristallin des guitares électriques et certains chœurs. La solennité du chant est cependant plus proche de celle d’un James Blake que d’un Thom Yorke.
Mais ce qui éloigne encore plus alt-J de l’émerveillement folk originel auquel il s’abreuve, c’est son parti pris résolument moderne qui se ressent dans la production et dans certaines sonorités. En termes de rythmes et de claviers, An Awesome Wave flirte avec la sphère de l’electro voire du hip-hop. « Breezeblocks », qui pourrait être un hit de dancefloor, en est caractéristique avec ses grosses nappes synthétiques, ses ruptures de rythme brutales et les percussions aiguës qui accompagnent le deuxième couplet.
Le groupe peut faire montre d’une sincérité touchante sur un morceau comme « Matilda » ou rester dans des eaux plus mystérieuses comme sur « Tesselate ». Il nous fait passer du peps à la mélancolie avec subtilité, en brouillant volontiers ces frontières au détour d’une transition ou d’une inflexion. L’énergie qui se dégage du pattern chaleureux de « Dissolve Me », du final violoneux de « Taro » ou du piano à la Agnes Obel sur « Something Good » en est d’autant plus étourdissante. Sur ce dernier, l’introduction d’un beat façon tropical house qui vient prendre le relai de la batterie feutrée contribue à apporter des sensations ensoleillées.
De même qu’il existe des feel-good movies, il existe une feel-good music. alt-J fait partie de ces artistes qui nous invitent à voir les choses en grand, à déceler l’étincelle dans la ruelle obscure et à en faire un feu de joie.