Je fais parti de cette première génération qui a toujours connu internet. Quelques années auparavant, et c'était raté, j'aurais dû vivre jusqu'à la fin avec des souvenirs d'avoir un jour utilisé un téléphone fixe. Le cauchemar.
Cette ponctualité sur la période à laquelle naître permettra, à moi ainsi qu'à toute une génération et celles suivantes, de pouvoir écouter tout et n'importe quoi, n'importe quand, gratuitement. De ce fait révolutionnaire adviendra une nouvelle ère musicale, encore à ses balbutiements aujourd'hui.
La première conséquence a été de voir une flopée de groupes prometteur, lâchant un premier album au potentiel remarquable. Justice, MGMT, Arcade Fire... Des albums présentant chacun un mélange des genres unique, permettant de voir que oui, ces artistes sont les premiers à avoir tout entendu. Ces albums ont également comme point commun d'avoir été suivi par des déceptions pour la critique musicale, conséquence d'une envie d'explorer de nouveaux terrains pour certains, d'une volonté de poursuivre sur le même chemin pour d'autres. Une déception qui est avant tout de ne pas voir ces groupes se transformer en ce que cette nouvelle décennie n'a plus : des superstars.
Car la seconde conséquence est la fin des groupes dominant le monde. Depuis la mort de Cobain et la baisse de forme d'Oasis, donc depuis la fin des 90's, c'est l'ère numérique qui domine, et plus aucun groupe n'obtiendra jamais le statut de "plus grand groupe du monde". On aura bien les Strokes, Daft Punk ou encore Kanye West pour nous faire croire que l'universalité est toujours possible en ce nouveau millénaire, mais leur succès ne semble pas comparable à celui d'un Nirvana, d'un Beatles ou d'un Queen.
Pourtant, leur popularité ne semble n'avoir rien à envier à leurs aînés. La mort de ces derniers jouent évidemment en leur faveur, devenus des fantasmes plus qu'autre chose, tandis que la nouvelle génération est condamnée à être vue sous son jour réel par l'aspect instantané des années les plus récentes et ses réseaux sociaux nous donnant toujours plus à voir l'intimité de nos idoles. Plus jamais nous n'aurons un Jim Morrisson ou un Jimi Hendrix, des artistes maudits élevés au rang de demi-dieux. Aujourd'hui, Amy Whinehouse ou Pete Doherty sont avant tout des alcooliques drogués entièrement déséquilibrés. De ce fait, les véritables génies musicaux d'aujourd'hui sont avant tout des artistes sains et terre à terre : Steven Wilson, Damon Albarn ou Aphex Twin expérimentent de façon intellectuelle et le revendiquent clairement. Leur génie n'est plus concentré sur quelques années grandioses, mais sur une discographie qui s'étire sur une longue durée et gardant une qualité à peu près constante.
Il n'y a donc pour ma part pas de nostalgie à avoir pour une époque que je n'ai pas connue. Le fait que toute la musique soit disponible à tous, donnant ainsi une connaissance des influences toujours plus grandes et nourrissant l'illusion de l'impossibilité de voir de vraies nouveautés émerger comme l'ont fait à leur époque le rock, le hip-hop ou la musique électronique, ne se mettra pas sur le chemin d'une vraie évolution en profondeur de la façon même d'écouter de la musique. Cette dernière se faisant de façon plus intellectuelle, elle sera réfléchie plus que ressentie. Si cela peut paraître douteux, n'oublions pas que l'un n'empêchera pas l'autre. Le génie des grands musiciens de la musique savante est intellectuel, mais n'empêche pas d'être ressenti de façon profonde.
Alt-J est la parfaite représentation de tout ça. Car An Awesome Wave est avant tout un album total : accrocheur par sa fondation pop, il joue également de ses qualités ambiantes par sa production et ses expérimentations qui, même si loin d'être aussi inventives qu'un Pink Floyd des grands jours, sont toutes aussi efficaces.
Alt-J a tout écouté, et ça s'entend.
Alt-J a réfléchi son album, avant même de le composer.
Alt-J propose la synthèse ultime de la musique contemporaine.
La nouvelle ère musicale va donc pouvoir commencer. La déchéance des majors n'est finalement que le résultat d'avancées technologiques. Outre le téléchargement P2P, les home-studios pullulent, et jamais il n'aura été aussi simple d'enregistrer soi-même son album (même s'il reste des progrès à faire là dessus). À titre personnel, je pense que cet élément, avec l'avènement d'internet (et donc la possibilité de gagner en visibilité facilement), permettra une époque de créativité sans précédent. Différente des 70's, mais n'ayant rien à lui envier, surtout dans un monde où les gens cherchent de plus en plus une échappatoire à un monde qu'ils trouvent morose. Contrairement à ce que j'entends régulièrement, le futur de la musique n'est donc pas en danger. Il est même très excitant, et j'ai hâte de pouvoir prendre du recul sur cette période pour en devenir nostalgique à mon tour (jusqu'à ce qu'un jeunot vienne me dire qu'il n'y a aucune raison de l'être).