Anima latina
7.7
Anima latina

Album de Lucio Battisti (1974)

Pourquoi vous devriez écouter Anima Latina au moins une fois dans votre vie

Lucio Battisti, qui vient de connaitre le succès avec Il Nostro Caro Angelo (1973), est désormais un musicien qui compte. Le public et la critique savent à quoi s'attendre de lui et probablement ce rôle pour Lucio commence à être difficile à assumer car il a envie d'expérimenter, d'explorer des sonorités musicales originales et qui peuvent désarçonner ses nombreux admirateurs. Il ressent le besoin d'une « évasion innocente », intrigué depuis quelque temps par les influences musicales étrangères, en premier lieu celles qui viennent de Grande-Bretagne, d'Amérique et même d'Amérique du Sud, continent qu'il visite et où il se déplace avec Mogol (son parolier attitré) pendant quelques mois entre 1973 et 1974.


À cette époque, plongé dans le folklore des musiques traditionnelles argentine et brésilienne, il trouve l'inspiration pour son album le plus ambitieux et le plus complexe : Anima Latina.
« Une opération culturelle, presque une expérimentation » dira-t-il, une tentative qui consiste à décliner les éléments latins, l'écriture italienne et le rock progressif dans une alchimie sonore.
« Mon séjour en Amérique du Sud m'a fait prendre conscience d'une autre dimension de la musique [...] comme vie, comme chance d'être ensemble, de danser ensemble, de manifester ensemble. La musique brésilienne […] n'a pas perdu sa fonction de permettre à ceux qui « sont au milieu de la musique » d'y participer […] un événement social majeur aussi bien que musical »


Battisti parle de cette idée à Mogol et lors de son retour en Italie, au printemps 1974, il commence à travailler dans les studios Fono - Roma Sound Recordings avec toute une troupe de musiciens.
Il travaille dur entre les répétitions, les retours en arrière et les versions insatisfaisantes puis complètement réarrangé et réenregistré. Il enregistre et superpose des phrases musicales sur des morceaux longs à l'orchestration extrêmement composite et stratifiée, faite de chœurs, de vents, de percussions et de synthétiseurs : il en tire tellement de matière qu'il pense au départ faire un double disque.


Après avoir décrit le contexte de l'enregistrement de cet album majeur, je vais maintenant m'atteler à une analyse succincte de ses morceaux.


L'album débute par "Abbracciala abbracciali abbracciati" qui commence insidieusement avec des sonorités électroniques qui sont volontairement presque imperceptibles avec un mix grave de la voix mise au même niveau que les autres instruments. Ce morceau donne immédiatement le ton de l'album : il est éthéré et met en valeur une utilisation sophistiquée des cuivres. La chanson progresse d'une manière très fluide, rythmée par une guitare acoustique qui entraine une amplification du tempo parfaitement exécutée au milieu du morceau.
La chanson comporte également un bref solo de flûte, qui est un instrument largement sous-utilisé dans la musique pop.
La deuxième piste démarre dans une veine similaire à l'ouverture, mais ne perd presque pas de temps à établir un groove. À seulement une minute environ, la guitare, la batterie et une voix féminine se rejoignent pour accompagner Battisti alors qu'ils échangent de brefs couplets entre eux. L'excitation ne fait que grandir à partir de là avec le retour des cuivres, ajoutant encore de la couleur à l'instrumentation du morceau - sans oublier la présence d'un saxophone tonitruant ! -
Place ensuite à Anonimo, sans aucun doute le morceau le plus progressif de l'album. Quatre sections distinctes se réunissent pour former la composition la plus complète. J'ai un faible pour la deuxième section, qui est centrée autour d'une ligne de basse entraînante. Bientôt, les flûtes sont de retour, mais cette fois, elles sont associées à des synthés qui culminent dans un moment extrêmement psychédélique à mi-parcours de la chanson.


La chanson suivante, Gli uomini celesti, s'ouvre magnifiquement avec deux guitares acoustiques, un sitar, quelques cloches et une simple ligne de synthé. La première minute et demie du morceau est plutôt sobre en termes d'instrumentation mais elle élargit considérablement sa palette sonore une fois que les percussions entrent en scène. La piste retrouve son calme initial avant que son final passionné et franchement époustouflant ne se déploie. Nous sommes ensuite cueillis par une reprise de ce morceau immédiatement après, puis un bref intermède d'une minute avec uniquement la voix de Lucio et un accompagnement de piano mélancolique.


Cela nous amène donc au morceau éponyme, Anima Latina. J'espérais que ce morceau offrirait quelque chose de spécial étant donné que c'est le morceau titre, et il n'a pas déçu mes attentes. C'est tout simplement merveilleux. Un parfait exemple d'euphorie musicale. Cela ressemble aux morceaux précédents, mais avec une magie supplémentaire difficile à exprimer. S'il y a un morceau que vous devriez écouter en priorité c'est celui-ci.


Vient ensuite Il salame, qui est plutôt agréable (on y entend Battisti accompagné d'un piano et de nappes de synthé nous convier à la dégustation d'un salami) mais qui est certainement la chanson la moins riche musicalement mais en aucun cas mauvaise. Puis c'est au tour des trompettes tonitruantes de "La nuova America" de faire leur apparition. Macchina del Tempo, ode au souvenir d'un amour perdu et au syndrome dépressif qu'il engendre, clôt avec brio l'album.


Mais alors quelle est la postérité de cet album ? Quelle est l'influence de Battisti sur la scène musicale italienne actuelle ?


Cet album est à mes yeux inclassable mais si je devais le ranger dans un genre musical bien défini, je dirais que c'est un album concept de rock progressif méditerranéen capable de mélanger différentes traditions musicales et rythmiques insolites . Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une œuvre unique et sans équivalent qui a marqué non seulement le chemin musical de Battisti mais de bien d'autres artistes depuis (comme Verdena ou le chanteur Dente)


Un disque qui mérite qu'on s'y attarde et la preuve définitive, s'il en était encore besoin, que Battisti était l'un des rares vrais auteurs-compositeurs italiens à faire de la musique n'ayant rien à envier aux productions de ses contemporains.

venusinfinitesimale
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Créée

le 28 oct. 2021

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